Abane Ramdane : la part de vérité de Mansour Boudaoud officier supérieur de l'ALN
jeudi 13 mars 2003, par ARRAMI MERABET stéphane

Mansour Boudaoud était officier supérieur de l'ALN ainsi que le responsable de l'armement et du ravitaillement général durant la Révolution de Libération Nationale. Durant son long combat, il a travaillé directement avec les principaux chefs historiques. Son témoignage sur Abane Ramdane apporte des éclairages sur l'assassinat du grand résistant algérien originaire de Kabylie. Des propos reccueillis par Mourad Hammami.


Ce moudjahid de la première heure, natif du village Taourga et de parents originaires du village Azrou-Bwar, dans la commune de Mizrana, dit avoir cessé toute activité politique au lendemain de l'indépendance nationale. Actuellement à la retraite, il s'est installé dans la ville côtière de Tigzirt.
Dans le sillage de la polémique déclenchée au sujet de la mort d'Abane Ramdane, son nom a été cité par M. Bentobal et par d'autres milieux comme une personnalité qui peut nous éclairer davantage sur cette affaire. Dans le souci d'informer le lecteur et de contribuer à la reconstitution des faits concernant cette affaire, nous avons jugé utile d'en savoir plus auprès de M. Boudaoud.

Qui est M. Mansour Boudaoud ?
Mansour Boudaoud : Je suis né en 1926. J'ai milité dès mon jeune âge en 1944 dans mon village natal Taourga au sein du PPA. En 1946, j'ai été à Alger où j'ai continué à militer dans le MTLD jusqu'à 1947 date à laquelle j'ai rejoint l'Organisation secrète et paramilitaire (OS), qui formait des sous-officiers pour le déclenchement de la Révolution armée.
En 1950, l'activité de l'OS a été suspendue, car il y avait beaucoup d'arrestations de responsables et de militants. Depuis, elle ne connaîtra plus de reprise. On s'est jamais vus et l'organisation a été démantelée ; on nous a demandé d'attendre les ordres. Ces derniers ne sont jamais venus jusqu'au déclenchement de la révolution en Tunisie, ensuite au Maroc.
Nous n'avons repris nos activités qu'après le déclenchement de la révolution du 1er Novembre 1954. J'ai été militart au sein du FLN dans les services de renseignement à Alger jusqu'à 1955. Et là le colonel Ouamrane, chef de la wilaya IV, qui était une région en ce moment-là, sachant que je connaissais bien le Maroc m'a désigné pour aller nous procurer des armes dans ce pays pour les envoyer à la région IV.
Arrivé au Maroc, nous n'avons pas trouvé d'armes du fait que les Marocains venaient à peine de recouvrer leur indépendance sous le règne de Mohammed II. On a commencé à s'organiser à Casablanca, Meknès, Rabat et à former des cellules du FLN. Nous avons collecté un million de centimes que nous avons envoyé au colonel Ouamrane par le biais d'un agent de liaison.

Arrivé à Alger, il a remis cette somme à Ouamrane, et ce dernier lui a dit : « Tu diras à Mohamed Arezki (on me nommait ainsi en ce temps-là), nous ne voulons pas d'argent, mais des armes. » Avant que l'agent de liaison ne revienne d'Alger, Boudiaf avait appris qu'il y avait une organisation qui s'est constituée au Maroc. Or, cette région dépendait de lui et il a demandé d'aller le voir à Tétouan.
Quand je suis parti, il m'a dit qu'il allait prendre contact avec Ouamrane et qu'il fallait continuer mon travail de récupération d'armes au Maroc sous sa responsabilité.
Il m'a chargé de cette mission et m'a recommandé de prendre contact avec l'Armée de libération du Maroc pour le transfert de djounoud, du moins les militaires incorporés dans l'armée française et qui avaient déserté et combattu avec l'Armée de libération marocaine, ainsi que les Algériens et autres volontaires qui voulaient combattre dans les rangs de la Révolution.
Ceux-là ont été transférés vers la wilaya V à Aïn Safra, sous la responsabilité du colonel Lotfi alors. Après le détournement de l'avion qui transportait les cinq frères de l'extérieur, Boudiaf, Aït Ahmed, Mechref, Ben Bella et Bitat, nous avons travaillé directement avec Boussouf, chef de la wilaya V. En 1958, j'ai été désigné à la tête de l'armement et du ravitaillement général à l'échelle nationale. En 1959, Mahmoud Cherif a été nommé ministre de l'Armement au sein du gouvernement provisoire jusqu'à 1960 quand un nouveau gouvernement a été installé. Par la suite, j'ai travaillé avec Boussouf, qui a repris l'armement en plus des services de transmission générale.


Dans la foulée de la polémique déclenchée au sujet de la mort d'Abane Ramdane, votre nom a été cité, notamment par M. Bentobal qui a déclaré : « J'ai été informé de la mort d'Abane par Krim Belkacem, Mahmoud Cherif et Mansour Boudaoud à leur retour à Tunis. » Quelle est votre réaction à ce sujet ?
Ma réaction est très simple. A l'époque, je ne connaissais pas Abdallah Bentobal, car j'ai quitté le Maroc. Après la réunion du CCE, à la mi-janvier 1958, j'étais en mission en Suisse (une affaire d'un bateau qui a été arraisonné par l'ennemi) et de là, je suis allé au Caire. C'est à ce moment-là que Boussouf m'avait présenté Bentobal.
Donc je ne vois pas comment j'aurais pu l'informer de la mort d'Abane. Pour moi, Abane était vivant et quand je suis arrivé au Caire, j'ai constaté son absence et j'ai vu tout le monde en peine. Je commençais à m'inquiéter car Abane était un ami, d'ailleurs j'ai longuement discuté avec lui avant.
Maintenant pour Si Abdallah soit qu'il a perdu la mémoire vu son âge ou qu'il me confond avec quelqu'un d'autre. Au retour, je doutais. Je me suis dis qu'Abane est peut-être resté en Tunisie pour des affaires courantes.

Je ne sais pas. J'avais l'espoir de le rencontrer, de le retrouver. Arrivé à Tunis, des amis m'ont informé qu'Abane était parti au Maroc. J'étais inquiet et suis parti voir Krim dans son département de guerre. Il m'a donné rendez-vous pour le soir et il m'a envoyé quelqu'un me chercher.
Quand je suis arrivé là-bas, j'ai posé brutalement la question à Krim : « Il n'y a plus de nouvelles d'Abane. Pense-tu qu'on l'a tué ? » Il m'a répondu : « Oui, on l'a tué ! »

En tant qu'ami d'Abane, comment pouvez-vous nous décrire sa personnalité ?
Je n'ai pas connu Abane en Algérie, je l'ai connu quand il est sorti d'Alger et qu'il était de passage au Maroc à Tétouan. C'est là-bas que je l'avais rencontré, mais lui, il avait l'air de bien me connaître.
On a discuté et on est restés ensemble pendant pratiquement deux heures. Notre discussion s'est articulé autour de la Révolution, de sa théorie, etc. Cet homme m'a impressionné par son calme, sa vision de la Révolution et ses analyses de l'avenir. C'est tout ce que je peux dire de lui.
Maintenant, en discutant avec des gens qui ont travaillé avec lui, ils me l'ont toujours présenté comme un géant et un théoricien de grande valeur de la Révolution algérienne.

Et pourtant, d'autres personnalités ont porté atteinte à sa mémoire telles que Bentobal qui a dit qu'« il méritait plus que la mort » ou Ben Bella qui l'accuse de traître. Quelle en est votre réaction ?
Vous savez, il est difficile de juger les gens quarante ou cinquante ans après, car nous n'avons pas de données ; jusqu'à maintenant, sa mort reste obscure.
Les acteurs qui ont le devoir d'informer ne l'ont pas fait, et ce qui m'étonne, c'est que ces mêmes personnes ont publié un article sur sa mort disant qu'il a été tué au champ d'honneur. Aujourd'hui, après quarante ans, ils veulent le tuer une deuxième fois en l'accusant de choses que nous ignorons et qui auraient peut-être d'après eux touché à la Révolution. Le congrès de la Soummam avait défini dans son règlement intérieur les cas où on peut exécuter une personne. Pourquoi on l'exécute clandestinement, sans tribunal, sans jugement ? Si vous voulez, c'est une affaire qui reste dans l'esprit de tous les patriotes sincères comme un crime.

Comment voyez-vous le Congrès de la Soummam ?
Pour le congrès de la Soummam, d'abord je n'étais pas là. J'étais à l'extérieur, mais en tant que responsable, j'avais accueilli cet événement avec une joie immense. C'est la première fois, depuis le déclenchement de la guerre, qu'une plate-forme est venue unifier les rangs de l'ALN et du FLN et déterminer les tâches de tout un chacun. Mais un problème s'est posé juste après, surtout en ce qui concerne la primauté de l'intérieur sur l'extérieur et du politique sur le militaire, que beaucoup n'ont pas appréciée et que personnellement j'ai bien accueillie. Mais à mon avis, tout cela était la lutte de chefs.


Quelle est votre appréciation de l'écriture actuelle de l'histoire de la Révolution nationale ?
L'histoire de l'Algérie est en train de s'écrire. Maintenant bien ou mal écrite, chacun donnera son appréciation selon sa vision des choses. Des Algériens écrivent, des Français aussi, bonne ou mauvaise, l'histoire doit être écrite.
Actuellement, ce sont les acteurs qui l'écrivent, mais je crois que ce sont les historiens qui doivent s'en charger. Si j'ai à donner un avis à cette jeunesse qui s'intéresse à l'histoire, c'est de s'inquiéter, de s'informer et d'essayer de la rétablir dans sa vraie version pour que les générations à venir apprennent les évènements réels. L'histoire ne s'écrit pas en quelques jours, mais pendant des années.

Quelle est votre conclusion ?
En politique, c'est difficile de tirer une conclusion. On ne peut que constater. Mais s'il y a un avis à donner, tout ce que nous avons vécu pendant la guerre est pratiquement devenu minime par rapport à ce que nous vivons aujourd'hui. Espérant qu'un jour l'Algérie finira par trouver une issue à ses problèmes et que le peuple vivra dans la sécurité.

M. H.

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