La naissance de la Wilaya 6 dans le sang ou l'assassinat de Colonel Ali Mellah est plus de mille kabyle maquisards De La Kabylie juste presque c’est des kabyles

Si l’histoire est moins connue que celle de Melouza elle n’en conduisit pas moins à un affrontement où une fois de plus Kabyles et Arabes allaient s’entre-tuer.
Le Colonel Ali Melah
toute fois, les Kabyles feront les frais de l’opération, qui se soldera par plus de mille morts et le ralliement spectaculaire de Si Chérif que les stratèges en chambre du service d’action psychologique -experts en propagande- présenteront comme l’un des plus «glorieux» harkis de l’armée française. A leur décharge personne ne connaissait à l’époque la réalité. 


Elle était particulièrement sordide et expliquait pourquoi la wilaya 6, qui dans l’organisation de la révolution algérienne «couvrait» les immenses territoires du Sud, ne parvenait pas à développer une activité semblable à celle des autres zones. Et pourtant, depuis 1956, cette région du Sud recelait la plus grande richesse de l’Algérie: le pétrole. Depuis qu’il avait jailli à Hassi-Messaoud et que les sondages avaient appris au monde qu'il s’agissait d’un des plus importants gisements jamais découverts, des intérêts énormes étaient en jeu. Et il devenait essentiel pour le F.L.N. de manifester sa présence dans la région des prospections.
Depuis le déclenchement de la révolution cette zone posait un problème. Les six «Chefs historique» qui avaient partagé le territoire algérien en six zones -appelées plus tard wilayas- n’avaient pu, faute d’élément de classe en qui ils eussent confiance, attribuer un chef à la zone saharienne.
Deux ans plus tard, au congrès de la Soummam, la wilaya 6 avait été placée sous les ordres d’Ali Mellah, un Kabyle du premier maquis de Krim Belkacem. Ali Mellah, avant de descendre vers le Sud -où de sérieux ennuis l’attendaient car c’est sur ces immenses territoires que Bellounis, chassé de Kabylie, avait essaimé ses groupes M.N.A.-, avait constitué son état-major et recruté ses troupes de choc en Kabylie. Il fallait environ douze cents hommes disséminés dans les grands centres du Sud -Djelfa, Laghouat, Bousaada, etc.- pour réduire les M.N.A. et amener la population à embrasser la cause du F.L.N. Le C.C.E., état-major clandestin de la révolution -qui se préparait à la «bataille d’Alger»-, lui avait donné carte blanche pour organiser son expédition. Ali Mellah, combattant courageux mais piètre psychologue, choisit comme adjoint un certain Ahmed Chaffai, rouquin aux yeux clairs que l’on appelait « Rouget ».

Dès son arrivée dans le Sud, Ali Mellah recruta des hommes pour le F.L.N. et fit encadrer ses premières troupes par ses compagnons kabyles. Et aussitôt les accrochages commencèrent.
La population des territoires du Sud, composée de purs Arabes, était peu satisfaite de se voir dirigée par des Kabyles. D’autant que ceux-ci, et Rouget en particulier, n’évitaient pas une erreur. Non seulement entre eux ils continuaient de parler kabyle, langue inconnue des Arabes, mais encore ils traitaient leurs nouvelles troupes du haut de leur supériorité. Pour les Arabes c’était une injure caractérisée. Des «étrangers» leur donnaient des ordres et Rouget ne se privait pas de leur répéter: «Il a fallu que ce soient des Kabyles qui viennent chez vous vous libérer...»


Ali Mellah, comprenant son erreur de tactique, avait renversé la vapeur et avait su capter rapidement la confiance de certains notables du Sud. Pour conquérir celle de toute la population il fallait se débarrasser de Rouget qui maintenant avait constitué une véritable «bande kabyle» et pressurait les villages où il passait. Ali Mellah décida d’attendre une occasion propice. Cet atermoiement allait lui coûter la vie. Voici comment.
Au début de l’année 1957 les hommes de Rouget avaient enlevé dans son village Chérif Ben Saïdi, ancien sergent-chef de l’armée française où il avait servi de 1944 à 1955, obtenant lors de ses campagnes trois citations dont une à l’ordre de l’armée. Ils s’apprêtaient à le liquider «pour l’exemple» lorsque Rouget avait décidé de le gracier et d’utiliser ses compétences militaires pour le plus grand bien de l’A.L.N. L’ancien sergent-chef, prenant le nom de Si Chérif, devint très vite lieutenant de l’Armée de libération nationale et adjoint de Rouget et du chef de wilaya, Ali Mellah. Lorsque commença la «campagne d’extermination des messalistes» la wilaya 6 fut chargée des opérations locales puisque c’était sur son territoire que se trouvait le plus grand nombre de cellules M.N.A. Pendant que les hommes de Mohammedi Saïd entreprenaient de nettoyer d'une façon sanglante la zone charnière entre le Sud et la Kabylie, provoquant le massacre de Beni Yelmane (Mellouza) et le ralliement de Bellounis à la France, Ali Mellah donna ordre à Rouget, assisté de Si Chérif, de «piquer» vers le Sud à la poursuite de groupes messalistes en déroute. Rouget rassembla quatre cents hommes, les confia à Si Chérif et -accompagné de ses gardes du corps- précéda sa troupe de trois ou quatre jours dans le long trajet qu’elle avait à accomplir.

Au cours de la longue marche sur les plateaux désertiques du Sud, la caravane F.L.N. commander par Si Chérif fut repérée par un avion de reconnaissance. Une escadrille vint à la rescousse et fit un véritable carnage. Les rafales de mitrailleuse tracèrent des vides meurtriers parmi les hommes de Si Chérif. Celui-ci parvint à s’en tirer et, avec les rescapés, rejoignit son chef Rouget, qui leur donna une nouvelle mission. Là, Si Chérif se révolta. Mais face a un Rouget menaçant ce dernier plie.

Il oubliait la rancune arabe qui fermentait dans le cœur de Si Chérif. Celui-ci, homme du Sud, rassembla les combattants de sa région et leurs familles. Tous avaient été humiliés par l’attitude méprisante de Rouget et de sa troupe. Il suffirait de souffler sur ces brandons et d’enflammer l’honneur arabe contre ces «Kabyles de malheur» pour les abattre définitivement.
«Voyez comme ces chefs nous traitent, tonna Si Chérif, ce sont tous des Kabyles. Ils veulent imposer leur loi au peuple arabe. Ils veulent diriger la révolution et se servent de nous comme d’un troupeau qu’on sacrifie. Ils nous prennent nos fusils et nos chevaux.... Leur obéir c’est changer de colonialisme. Qu’est devenu notre honneur? Sommes-nous des hommes ou de vieilles femmes juste capables d’aller chercher l’eau de la fontaine? Nous devons nous venger..»1
Des cris de haine s’élevèrent de la foule.
Le mot était prononcé, Si Chérif avait su atteindre le point sensible, frapper l’orgueil des hommes du Sud. En quelques jours il eut la population bien en main. Le sergent-chef devenu lieutenant rêvait maintenant aux galons de colonel, chef de wilaya... En cette optique, son premier souci fut de se débarrasser d’Ali Mellah qui était pour lui beaucoup plus dangereux que Rouget. En effet, le chef de wilaya avait su convaincre la population. Il lui avait fait partager ses objectifs de lutte contre le colonialisme et d’indépendance nationale. Son grade, son attitude sans reproche et la confiance dont il jouissait auprès de nombreux notables constituaient autant d’écueils insurmontables sur la route de Si Chérif. Ali Mellah devait disparaître, il est assassiné le 31 mars 1957 à Oued Bedj, Douar Haidouria, pres de Meliana.2
Alors L’ancien sergent-chef l’assassinat, puis se débarrassa dans le plus grand secret de l’encombrant cadavre. Ce fut ensuite un jeu d’enfant de lancer la population contre les «Kabyles du F.L.N.» si mal représentés par Rouget. Un massacre effroyable se préparait. En quelques jours plus de mille Kabyles, disséminés dans une région immense devenue hostile, furent assassinés. Ali Mellah n’était plus là pour raisonner et convaincre la population de l’inutilité de cette Saint-Barthélemy2 antiberbère. Les femmes et les enfants achevèrent les blessés. Les quelques Kabyles ayant échappé au massacre donnèrent l’alerte à la wilaya 4.
«Ali Mellah a été assassiné par Si Chérif, racontèrent-ils, mais la population l’ignore. Il a aussi égorgé Rouget, et là, tout le monde a applaudi. Tous les Arabes du Sud sont maintenant entre ses mains. Ils l’adorent. Le pays est désormais fermé aux Kabyles.»3
Il fallait prendre des mesures d’urgence pour conserver l’unité de la révolution algérienne. Si Sadek, chef de la wilaya 4, décida d’envoyer une «solide délégation» à la wilaya 6, son adjoint politique Si M’hamed, qui devait lui succéder à la tête de la Wilaya 4, son adjoint militaire Si Lakhdar, Tayeb Djoghbali ainsi que le célèbre commando «Ali Khodja» mené par Azzedine.
Dès l’arrivée en wilaya 6, les trois chefs -des Kabyles là encore, mais la population l’ignorait- menèrent leur enquête auprès des notables et des chefs de village. Le mal venait de Rouget et de sa bande. Ces pirates avaient écumé la région. Maintenant la population sincère était aux mains de Si Chérif.
Au cours de palabres interminables Si M’hamed entreprit de regagner le terrain perdu. En fin diplomate, il expliqua l’importance de l’unité et le risque que courait Si Chérif. Isolé des autres wilayas il perdrait du terrain.
Si Chérif, très conscient du péril que représentait la présence des trois chefs de la wilaya 4 et de la force du commando «Ali Khodja» qui avait souvent tenu les parachutistes en échec, prit contact avec l’adjudant d’un petit poste français. Il voulait savoir dans quelles conditions pourrait se produire un éventuel ralliement. Parallèlement il écrivit à Si M’hamed pour lui expliquer comment s’était produit le soulèvement antikabyle. Il signa la lettre: Capitaine Si Chérif.
Le double jeu était clair. Si M’hamed, qui avait appris les contacts de Si Chérif avec l’armée française, décida de le supprimer. Mais la liquidation d’un traître ne résoudrait pas le problème le plus important. La population resterait toujours hostile et continuerait d’associer le F.L.N. à tous ses malheurs. Il fallait détruire le prestige de Si Chérif aux yeux des notables. Après cela, sa mort serait parfaitement inutile.
Si M’hamed décida de tenir une grande réunion d’explication à laquelle il assisterait ainsi que Si Chérif, Lakhdar, Azzedine et un représentant de chaque village. Si Chérif répondit à la convocation et arriva fièrement à la tête de ses hommes. Il fallait endormir sa méfiance. Si M’hamed l’accueillit cordialement et le fit asseoir à sa droite à la place d’honneur, Lakhdar se plaça à sa gauche, les notables formèrent le cercle. Azzedine et son groupe de choc assuraient la protection de la réunion et surveillaient les hommes de Si Chérif cantonnés à l’écart.
Si M’hamed ouvrit la réunion et refit l’historique de toute l’affaire, puis il recueillit les témoignages des chefs de village sur l'inconduite de Rouget et de certains de ses hommes. Elle était flagrante.
« Qui a tué Rouget?» demanda Si M’hamed.
Si Chérif n’hésita pas une seconde: «C’est moi, il a fait un tort considérable à notre cause. Il méritait de mourir.» les notables approuvèrent.
Si M’hamed les rassura et continua d’interroger Si Chérif: «C’est toi et tes hommes qui avez tué le colonel Ali Mellah?»
Mais Si Chérif protesta. en affirmant qu'Ali Mellah a disparu.
Pour Si M’hamed la situation était claire, qu’il parvienne à prouver la culpabilité de Si Chérif devant les notables et la population serait retournée. Mais comment y parvenir? Il cherchait désespérément un moyen. Pour l’instant on tournait en rond. Le hasard allait pourtant le servir.
Si M’hamed avait abandonné le sujet de la mort d’Ali Mellah pour examiner les comptes de la wilaya. Si Chérif fit venir son secrétaire -un jeune étudiant qui le suivait partout- et lui ordonna de faire à haute voix la lecture du «livre de comptes» qu’il tenait soigneusement à jour. Le chef de la wilaya 4 dressa l’oreille lorsqu’il entendit le jeune homme lire: «Dans les poches du capitaine Rouget -exécuté- on a trouvé... » et suivait l’énumération des sommes d’argent et objets personnels découverts dans les vêtements du défunt chef adjoint de la wilaya 6. M’hamed remarqua la satisfaction peinte sur les visages des vieux du village. Elle exprimait la confiance accordée à Si Chérif. Il avait liquidé Rouget mais avait porté en compte son argent personnel. C’était un honnête homme!
D’une voix monotone l’étudiant poursuivait sa lecture: «Dans les poches du colonel Ali Mellah on a trouvé...» Si M’hamed bondit! Tous les yeux s’étaient tournés vers Si Chérif. En un éclair il avait perdu son assurance. Son visage était devenu blême. Il tenta de se justifier et surtout de gagner du temps.
Tout le monde se leva. Les chefs au burnous immaculé semblaient désorientés. Si M’hamed avait marqué un point sérieux. Il donna ses instructions discrètement a Azzedine, en recommandant de faire une brèche dans la surveillance du camp pour que Si Chérif puisse s’échapper facilement avec ses hommes.
Si M’hamed avait raisonné en commissaire politique aiguiser, en se disant que si Chérif Ben Saïdi réussie a s’explique il pourra peut-être trouver une excuse, donner des alibis qu’il faudra vérifier.Les chefs de village ne seront pas absolument convaincus de sa traîtrise. Tandis qu’en fuyant il signe lui même son crime!
Effectivement le repas commença sans Si Chérif.
Azzedine, à l’affût, le vit s’enfuir accompagné de quelques hommes. Il laissa passer une vingtaine de minutes, puis se présenta sous la tente où les notables dînaient en compagnie de Si M’hamed et de Lakhdar et annonce la fuite de Si Chérif avec ses hommes.
Un immense brouhaha suivit cette révélation. Les notables se concertèrent un long moment, puis se rendent a l’évidence que Si Chérif était un traître. C’était bien lui qui a tué le brave Ali Mellah. Si M’hamed avait gagné. L’unité était réalisée. La wilaya 6 venait de naître dans le sang et la trahison.
Si Chérif se présenta le lendemain à la S.A.S. de Maginot pour se rallier avec sa bande: vingt réguliers bien armés de fusils de guerre et cent cinquante fellahs munis de fusils de chasse. Le ralliement de Si Chérif fut exploité par le service d’action psychologique qui en conclut que la population du Sud, lasse des crimes du F.L.N., demandait protection à la France en la personne de Si Chérif et de ses hommes. C’est exactement le contraire qui venait de se produire.
Le chef rallié se vit confier la zone d’Aïn-Bouaf, près de Maginot. Il reçut même l’autorisation de coudre sur ses manches les galons de colonel. Ayant manqué son coup dans l’A.L.N., il le réussissait auprès de l’armée française. L’ambition de Si Chérif était enfin réalisée.
Si Chérif sera désormais, en ce début 1957, à la tête d'un groupe équipé et encadré sous le nom des FAFM (Forces Auxiliaires Franco Musulmanes).
En janvier 1961, ses supplétifs ne cache plus leurs inquiétudes quant à l'organisation du référendum face à la question de l'autodétermination. Des inquiétudes légitimes, tenant compte qu'à la différence des harkis, les FAFM n'ont pas la possibilité de se "dédouaner" et à suivre l'armée coloniale en métropole. Une Armée française qui devait quitter l'Algérie selon Si Chérif, dans un entretien confessionnal en tête-à-tête avec le colonel Leguay qui rapporte un témoignage poignant de ce que fut l’Abandon.
"Dans cette hypothèse, estime Si Chérif, l'Armée française sera amenée à quitter un jour l'Algérie et que les FAFM se trouveront alors exposées à la vengeance implacable du FLN dans la personne de leurs chefs, de leurs hommes, des familles de ceux-ci et de leurs biens ; c'est dit-il 15 000 à 20 000 personnes qui seront assassinées ou dépouillées. Les pertes infligées à la rébellion au moment du ralliement et celles causées depuis, sont telles qu'aucune trêve, même apparente n'est possible".
Si Chérif se pose des questions sur l'attitude de l'Armée française vis-à-vis de lui, de ses hommes et des familles si à la suite du référendum final, l'Armée venait a quittée l'Algérie.
Seuls Si CHERIF et son adjoint seront rapatriés.
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1. Yves Courrière, La guerre d'Algérie, Le temps des léopards.
2. El Moudjahid n°9 annonce en aout 1957 qu'Ali Mellah est "tombé à la tête de ses troupes dans le Sud Algérois"
3. Saint-Barthélemy: Massacre de protestants qui eut lieu à Paris en août 1572.
4. http://www.legrand-jacques.fr/

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