D’abord
structure centrale de l’opposition armée à Bashar al-Assad, l’Armée
syrienne libre a perdu de son influence à mesure que ses combattants ont
préféré rejoindre des brigades islamistes, généralement mieux financées
et donc mieux armées. Un choix qui, pour certains rebelles, relève
davantage du pragmatisme que de la conviction religieuse.
L’Armée syrienne libre (ASL), branche armée de la
Coalition nationale soutenue par les puissances occidentales, a
longtemps été la principale force en place dans les zones rebelles de
Damas. Mais depuis plusieurs mois, les rangs de ses brigades se vident à
tel point, que certains spécialistes parlent de l’ASL comme d’une
"coquille vide". Sur le terrain, sa présence est largement concurrencée
par des groupes rebelles d’obédience islamiste. Parmi eux, la récente "Armée de l’Islam",
qui se présente comme islamiste modérée, est une des structures les
mieux organisées à Damas. D’après son porte-parole, elle
regroupe actuellement 50 formations rebelles fusionnées sous sa bannière
en septembre dernier. Forte de plusieurs milliers d’hommes, cette
structure est aujourd’hui très présente dans la périphérie de Damas. Selon plusieurs spécialistes, l’Armée
de l’Islam serait principalement financée par les pays du Golfe, dont
l’Arabie saoudite, qui tenterait ainsi de proposer aux combattants une
alternative aux groupes affiliés à Al-Qaïda implantés dans la région.
Sur le terrain à Damas, l’Armée de l’Islam est en
concurrence avec d’autres brigades rebelles, plus radicales, comme
l’État islamique d’Irak et du Levant ou encore le Front al-Nosra.
Contributeurs
"Comme des commerciaux, on s'adapte à notre potentiel donateur quelle que soit notre croyance"
Le financement de la rébellion syrienne provient de sources diverses : riches commerçants, organisations politiques, ou États,
mais passent en général par des intermédiaires comme des
ressortissants étrangers vivant en Syrie. Beaucoup proviennent de pays
du Golfe. Interrogé par FRANCE 24 en décembre 2012,
Fabrice Balanche, spécialiste de la Syrie et directeur du Groupe de
recherche sur la méditerranée et le Moyen-Orient, affirmait alors : "Le
Qatar soutient les Frères musulmans, l’Arabie les salafistes. Les
brigades de rebelles se font concurrence pour impressionner [les
donateurs, NDLR] et avoir l’argent".
Tayssir
Syria (pseudonyme) est un combattant qui vit dans la banlieue-est de
Damas, à Ghouta. Il fait partie d’une brigade modérée dont il ne
souhaite pas que le nom soit révélé. Il affirme que sa brigade fait
toujours partie de l’ASL et n’est pas rattachée aux principales
structures islamistes de la zone. Elle est cependant en contact avec des
étrangers qui lui assurent des sources de financement.
Nous
avons toujours besoin d’argent pour aider les civils des villes
dévastées ou pour nous ravitailler en armes et munitions. L’argent est
le nerf de la guerre et c’est l’un des désastres de cette révolution.
Mais à chaque fois que vous vous adressez à quelqu’un pour demander un
soutien financier, la première question qu’on vous pose c'est : "Comment
vous situez-vous d’un point de vue islamique ?" ou "Allez-vous donner
un nom islamique à votre brigade ?"
Bien
souvent, quand ces personnes réalisent que ce n'est pas une brigade
salafiste, ils ne financent plus. C’est pour cela que dans les vidéos
diffusées par la brigade, il est bienvenu d’utiliser des versets du
Coran, d’inclure des symboles islamiques en arrière-plan…. On est tous
devenus des sortes de commerciaux : on doit s’adapter à notre potentiel
donateur quelle que soit notre croyance, et c’est lui qui aura toujours
raison.
"Si nos soutiens veulent qu’on rebaptise notre brigade ‘La force des combattants syriens des fans de Madonna’, on le fera !"
Un
jour, j’étais avec un combattant d’une brigade de l’Armée syrienne
libre, il parlait à sa petite amie au téléphone. Quelques instants
après, il a reçu un appel d’un de ses soutiens financiers. Son ton a
radicalement changé : il parlait comme un islamiste intégriste, comme
quelqu’un qui n’aurait jamais pu avoir de petite amie. Lorsqu’il a
raccroché, je lui ai dit "Ça ne te gêne pas de faire tout ce cinéma ?".
Il m’a répondu "Si ceux qui financent la brigade veulent que je la
renomme ‘la Force des combattants syriens des fans de Madonna’, je le
ferai !".
Il y a
énormément de personnes modérées qui font désormais partie de brigades
islamistes. Beaucoup ont, par exemple, rejoint Liwa Al-Islam [groupe
islamiste qui a fusionné au sein de l’Armée de l’Islam] parce qu’ils
sont en mesure de donner un salaire aux combattants, ce que l’Armée
syrienne libre n’est pas en mesure de faire. Mais je connais ces
personnes : dès que la guerre sera finie, je suis persuadé qu’elles
arrêteront ce cinéma et redeviendront comme avant. Lorsque Bachar
al-Assad aura chuté, le vrai risque sera l’influence d’Al-Qaïda et des
véritables leaders islamistes de ces groupes, ceux qui ont un agenda
politique en tête.
"J’ai peur que mon fils croie que cet environnement est normal"
Moi,
je suis laïc, et tous mes camarades de brigade le savent, même les plus
religieux. Nous combattons pourtant toujours côte à côte. Mais c’est une
question de temps, si la guerre s’éternise, je pense que l’influence
fondamentaliste peut s’enraciner. J’ai un fils, il grandit actuellement
dans ce contexte. J’ai peur qu’il croie que cet environnement est normal
et d’avoir finalement du mal à lui enlever ça de l’esprit.
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