Écrivain algérien, de langue française
(Tizi-Hibel, Grande Kabylie, 1913 – El Biar, 1962) Mouloud Feraoun
est un écrivain algérien de langue française . La complexité de son
identité repose sur deux composantes fortement liées, résultat d’un cheminement
exceptionnel qui a mené le fils d’une pauvre famille kabyle au métier d’instituteur
et à la littérature. Feraoun était le seul des six martyrs qui avait déjà
acquis une certaine notoriété grâce à ses publications chez de grands éditeurs
parisiens, même s'il n'est pas prouvé qu'il fut alors une cible plus
particulièrement visée
LA VIE DE L’ECRIVAIN
Originaire d'une famille paysanne de
Tizi-Hibel, l'un de ces villages déshérités voisins du massif du Djurdjura, le
jeune Mouloud aurait dû s'appeler Aït-Chaabane, mais les officiers français des
"bureaux arabes", chargés d'établir des listes d'état civil après l’insurrection
de 1871, les baptisent du nom ‘‘Feraoun’’. Son père l’envoie à l’âge de 7 ans,
jusque-là destiné à travailler aux champs, à l'"école indigène".
Après
l’École normale, il est nommé dans sa région natale, puis se marie avec une de
ses cousines avec qui il aura sept enfants. A la fin des années 1930, une fois
son installation dans la vie accomplie, il entame la rédaction de son premier
roman Le fils du pauvre.
Mais l’écriture en est laborieuse car il ne l’achève qu’en 1948. Il reçoit
alors un grand hommage avec l’obtention du ‘‘Prix littéraire’’ de la ville
d’Alger. C’est la première fois qu’un auteur non européen le reçoit. En 1954,
ce roman est réédité au Seuil, où travaille Emmanuel Roblès, et devient un des
livres les plus lus de la littérature maghrébine. Suivront La Terre et le Sang (Le Seuil) où il conte sa terre
natale, ses traditions et la fierté de ceux qui l'habitent ; en 1954, Jours de Kabylie (Alger,
Éditions du Braconnier) ; en 1957, Les
chemins qui montent (Le
Seuil). Auteur également de recueils de textes, d'essais et de chroniques, il
aurait voulu - mais il ne réussit à convaincre à temps ses éditeurs - voir
paraître pendant la guerre son journal commencé en 1955. Une initiative qui l’aurait
aidé à étouffer les critiques de certains de ses compatriotes qui lui reprochent,
injustement, d’être l’ami du colonisateur qui l'emploie. Mais il est vrai
qu'être à la fois lettré et pacifiste n'était pas facile à faire admettre
entre 1954 et 1962.
La
difficulté à définir Mouloud Feraoun vient de la superposition des différentes étapes
de sa vie : né en Kabylie et attaché à cette terre, il connaît une nomination
sociale importante grâce au colon français, qui applaudit ses romans. Il est
donc lié à la fois à la
Kabylie, à la
France et à l’Algérie. De plus, sa biographie n’évoque aucun
engagement nationaliste et ses romans sont dénués de tout caractère politique
ou nationaliste, ses thèmes de prédilection restant la description de sa Kabylie
natale et de la misère de ses villageois.
MOULOUD FERAOUN : PERSONNAGE COMPLEXE
Le destin
tragique du ‘’ fils du pauvre’’ dont l’assassinat et celui de ses collègues ont
lieu à quelques jours du cessez-le-feu. Le jour des obsèques des six victimes,
le dimanche 18 mars 1962, la radio annonce la fin des combats en Algérie à 16
heures.
Le jour même de l'annonce d'un accord entre le
gouvernement français et le FLN devant mettre fin à une guerre qui durait
depuis plus de sept ans. La veille au soir, Feraoun avait regardé, sur la
chaîne unique de la télévision française, l'émission Lectures pour tous. Près de neuf mois après le
meurtre, Lectures pour tous ressuscite un instant l'écrivain
assassiné, par la voix d'un poète devenu “professeur d'enthousiasme” sur les
petits écrans : Max-Pol
Fouchet, né lui aussi en 1913, qui avait côtoyé Feraoun et Roblès, à
l’école d’Alger, à la fin des années 1930.
L’étude de la vie et de l’œuvre de Mouloud
Feraoun conduit à des réflexions ancrées dans le présent : sur la question
identitaire, il incarne la possibilité d’une identité algérienne plurielle,
faisant place au kabyle, au français, à l’islam. Par ailleurs, la leçon qu’il
donne est toute de nuance et de subtilité puisqu’il ne se laisse pas enfermer
dans les catégories simples, voire simplificatrices, que la guerre a formées.
Au nom de ces idéaux, Mouloud Feraoun est un
défenseur de la cause nationaliste, conscient qu’il est que l’Algérie ne serait
jamais la France
et qu’il ne peut en être autrement. Il le fait avec la passion d’un homme épris
de justice et la responsabilité d’un écrivain épris de raison. Au fur et à
mesure que l’on avance dans le temps, on le sent de plus en plus menacé, mais
désireux de ne pas lâcher prise malgré les signes annonciateurs de la catastrophe
finale, jusqu’au jour fatal.
Mouloud Feraoun, en effet, est tout sauf un
personnage au discours stérile et aux engagements aveugles. Ecrivain algérien et instituteur à la double culture, Mouloud
Feraoun est l’héritier des idéaux émancipateurs de la France des Lumières et de la Révolution française
qui inspirent certains de ceux qui s’engagent dans l’aventure coloniale, aussi
injustifiée est-elle dans son principe.
L’ASSASSINAT
D’UN ECRIVAIN HORS DU COMMUN
Certains meurent les armes à la main. Mouloud
Feraoun est mort avec les siennes, celles de l’écriture et de la dignité
assumée. Qu’il ait été assassiné quelques heures avant la signature des accords
d’Evian en fait presque un symbole de cette guerre qu’il faut savoir regarder
en face, non pour retomber dans les fondrières des remords et pour ne jamais oublier la période noire de
l’histoire algérienne que fut le colonialisme
français.
Celui qu’on appelle l’assimilationniste n’est pas toujours tendre à
l’égard de cette France dont il a tant célébré les Lumières et rejeté les
propositions les plus attrayantes, notamment celle de finir fonctionnaire à
Paris. Et le fait qu’il soit assassiné par l’O.A.S. montre que le F.L.N n’avait
rien compris à cet écrivain mystérieux. S’il donne l’impression de connaitre
les deux camps, leur accordant presque le bénéfice du doute, Féraoun ne peut néanmoins
s’empêcher de demeurer circonspect et attentif.
La biographie de Mouloud Féraoun est vraiment à
saluer et à lire car elle recèle une richesse indéniable qui redonne à
l’écrivain son véritable statut d’homme de culture, d’écrivain précurseur et
inlassable. Son engagement en faveur de l’Algérie et de son peuple apparaît
plus lumineux à travers cette biographie pour les incrédules de tous bords.
Ferroudja Bessad
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