Arezki HAMAMI est un ancien militant dans le combat identitaire. Il est membre de l'académie Berbère à partir de 1969, l'un des initiateurs de la célébration de Yennayer en 1984. Mais aussi du lancement de plusieurs structures pour soutenir et booster la cause identitaire telles que    Radio Tamazight   la revue Tisuraf ,la Coopérative Imedyazen, de l’Union du Peuple Amazigh (UPA) et son bulletin «Le Lien » etc.
Cet homme qui vit à Paris, garde ses convictions intacts envers la cause berbère et le combat politique pour la démocratie en Algérie et en Afrique du nord.
Nous l'avons approché il a bien voulu répondre à nos questions à l'occasion de la célébration du nouvel an berbère 2964, une fête d’une si grande importance pour les berbères à travers le monde.

    
                               Arezki HAMAMI Juriste
(Sciences Po)
Homme politique
Chef d'Entreprise

Comment avez-vous apprécié la célébration de Yennayer 2964, 34 ans après le Printemps Berbère ?

Je me réjouis de ce mouvement vers la généralisation de la célébration du jour de l’an amazigh au pays amazigh que dans la diaspora. Pour la mémoire, Il est utile de rappeler que cet évènement qui a, depuis les temps immémoriaux,  était  célébré dans l’ensemble de l’Afrique du nord pour marquer le passage de la saison froide vers la saison chaude et qui marque « Tibwuraussegwas », les portes de l’année.
Cet évènement a été célébré de façon éclatante, le 12 janvier 1984, dans la Salle de la « Mandapa », à Paris XIII, par « Radio Tamazight » dont j’étais le président. Cette célébration a été l’occasion de réunir les personnalités qui ont contribué à la préservation et le développement de notre culture ancestrale et aussi, l’occasion de manifester notre reconnaissance aux nombreux acteurs ayant participé à cette action. Parmi ces personnalités, je peux citer Mouloud Mammeri, Pierre Boudieu, Lionel Galand, Camille Lacoste Dujardin, AghaliZakara, Père Lanfry, Tassadit Yacine, Roger de la Bastide, Mouterfi, D. Oulahbib, Ahmed Hadj-Ali,  Aḥerdan, H. Zahraoui, Ammouri M’barek


 Les auditeurs et sympathisants de Radio Tamazight avaient fourni des plats traditionnels pour agrémenter cette rencontre avec des mets spécifiques comme le meqful s zit u zemmur, lesfenǧ, aɣrumtemtuntig d’uqurran, iffelfel.  Et  pour l’ambiance, le célèbre Qasi Abudrar et sa troupe Iebbalen avaient mis « le feu » pour donner le coup d’envoi à notre tradition de partage et d’ouverture sur l’avenir du renouveau de l’amazighité en France.


Avant de quitter la formidable ambiance dans laquelle les convives étaient plongés, Pierre Bourdieu, alors Conseiller de François Mitterrand à l’Elysée, a eu cette phrase, en guise de remerciement : «  Merci pour cet honneur que vous nous faites et n’hésitez pas à nous solliciter chaque fois que vous aurez besoin de notre aide. Nous serons à vos côtés surtout que maintenant nous avons partagé la galette et le piment ».
Je suis heureux de voir qu’à travers le monde, la diaspora amazigh célèbre avec enthousiasme cet évènement de partage et de convivialité du peuple amazigh. La célébration de cet évènement constitue aussi le moment de renouer avec notre histoire avec l’accession de Mass Chéchong (Chachnaq) comme Pharaon d’Egypte, il y a 2964 ans.


Vous étiez membre de l’Académie Berbère, pouvez-vous nous parler de cet événement important pour la cause berbère ?

L’Académie Berbère a constitué une étape majeure et un moment crucial pour la défense de la langue et culture berbères pour une Afrique du Nord enfin libre  car libérée de toutes occupations étrangères qui se sont succédées depuis plus de 2000 ans.
Si l’initiative en revenait à quelques personnalités connues tels que : Moh-Saïd Hanouz,Khélifati, Aherdan, Taos Amrouche, Rahmani, Bessaoud, Slimane Azem, Hamid Hamici, Hadj-Ali, sa prise en charge a été l’œuvre de gens très simples : des ouvriers, travailleurs du bâtiment ou d’usines.
L’Académie Berbère d’Echange et de Recherche Culturelle puis de l’Académie Berbère Agraw Imazighen  a constitué la première manifestation publique consacrant la volonté des Berbères de renouer avec leur histoire, celle des Hommes Libres.
L’Académie Berbère et son siège, 5, Rue d’Uzès à Paris, fut l’adresse la plus connue des berbéristes d’Afrique du Nord et même au-delà. Elle a symbolisé la référence du combat amazigh des Années 70.
De L’Académie, il reste la volonté de se battre pour notre identité. Dans ce lieu historique ont transité les militants qui ont introduit l’enseignement de la langue berbère.  L’université de Paris VIII, le groupe d’Etudes et de Recherches Berbères et la revue Tisuraf et sa devise « Seddaw Wbbrid, Sennig Webbrid, Leqraris d’Abbrid », de Coopérative Imedyazen, dont l’adresse 11 Rue de Lesdiguières fut qualifiée par les autorités d’Alger de « Bureau de l’Impérialisme » au cours du Printemps 80. L’académie a été aussi le lieu de rencontre de militants Amazigh du Maroc, de Tunisie, de Lybie, des Iles Canaries et des Aurès avec Amar Negadi avec l’Union du Peuple Amazigh (UPA) et son bulletin «Le Lien ».
Ces structures ont marqué la période allant de 1978 à 1988. Elle a contribué à la fin de l’hégémonie  du parti unique du FLN et de son relais « policier » dans l’immigration, l’Amicale des Algériens en France.
Pierre Bourdieu,  Conseiller au temps de François Mitterrand,




Le mouvement, lancé par l’Académie Berbère a eu des prolongements au pays avec le Cercle Berbère autour des cours de Mouloud Mammeri, de la revue ITIJ, ont été les promoteurs du Printemps Berbère de 1980.
En France, avec l’arrivée de la gauche au pouvoir en 1981 et la consécration de la liberté d’association, on a vu s’éclore un foisonnement d’associations culturelles berbères qui a embrassé l’ensemble des villes de France.
Le mouvement des radios pirates, devenues radios libres, nous a permis de prendre part en créant « Radio TamazightTiwizi  » qui a fonctionné de 1981 à 1992.
Ce mouvement a gagné en amplitude  et n’a cessé de se développer comme composante incontournable de la Nouvelle France dont le berbère constitue la deuxième langue la plus usitée par les locuteurs.

 
Que reste-t-il  de l’Académie Berbère ?

De cette structure, demeure la volonté de lutter pour la préservation et le développement de la dimension amazigh sur l’ensemble de l’Afrique du Nord. Le mouvement amorcé par les initiateurs de l’ABERC est irréversible. Il ne cesse de se développer en France, au Canada, en Belgique, en Allemagne…Les Imazighen se sont emparé du combat pour l’identité et personne ne peut l’arrêter pour peu que la lutte garde son caractère pacifique et sache éviter le piège de la violence que nos ennemis ne cessent de nous tendre.

En tant que militant, pouvez-vous nous faire  une évaluation du bilan de la cause berbère ?

Il est trop tôt pour parler de bilan mais le mouvement a enregistré des avancées certaines : l’enseignement du Berbère et son intégration dans les systèmes éducatifs constitue une réalité. Celle langue participe aux examens sérieux comme celui du Baccalauréat.
En Algérie, nous sommes passés de la négation catégorique à sa reconnaissance comme langue nationale en 2002, à la suite du tragique « Printemps Noir ».


Le drame est que la culture ancestrale soit niée dans son existence propre et que nous soyons obligés de nous battre pour une cause qui devait être le fondement même des Etats nord-africains et que près de soixante ans après notre indépendance nous ayons l’air de quémander ce qui nous revient de droit. La seule première langue officielle de ces Etats devrait être la langue Tamazight et les autres langues ne peuvent être qu’accessoires à celle-ci. Nous subissons un ostracisme quasi colonial et c'est insupportable pour tout un chacun.
Le mouvement puissant amorcé à la fin des années 60 est irréversible. Son aboutissement est un gage de stabilité et aussi un marqueur du caractère démocratique des pouvoirs en place.

Quel est votre avis sur le développement de Tamazight après le printemps dit arabe ?

Le  printemps dit « Arabe » est une notion fabriquée par l’occident qui prend ses rêves pour la réalité et qui ressemble plutôt  à un cauchemar. L’Algérie a connu son printemps depuis 1980 avec des pointes d’horreur dans les années 90, appelées « décennie noire ».
Ce qui se passe en Tunisie et en Libye est préoccupant pour nous d’autant plus que les berbérophones risquent de payer le prix fort lors de ces affrontements religieux, ethniques et sociaux.
Au Maroc, la langue berbère est consacrée « Langue Nationale et Officielle » depuis le 1erJuillet 2012, rejoignant ainsi le Niger et le Mali dans la consécration de la langue amazigh = langue officielle.
La marche vers l’unité de l’Afrique du Nord est un objectif pour les forces démocratiques. Elle doit être fondée sur sa dimension Amazigh et ses aspirations pour la liberté et la justice sociale, débarrassée des amarres orientalistes et arabistes.  UMA oui, mais pour  l’Union du Peuple Amazigh

 Votre message en guise de conclusion

Nos frères sont toujours à la recherche de l’homme providentiel, le « Zaïm », autoproclamé, rarement choisi ou élu, pour la réalisation de nos aspirations. Les slogans forts de 1962 ont été  vite oubliés : « Un seul héros, le peuple » et « A bas le culte de la personnalité ». On doit cesser de concocter des solutions par le haut et retourner à la base à l’initiative locale afin que le citoyen puisse redevenir le vrai acteur  du changement au service du développement et de la justice sociale.

De Paris
Entretien réalisé par Mourad H






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