Entre les événements de Sétif, en mai 1945, et l’indépendance de l’Algérie en juillet 1962, la France produit, par le biais de différents ministères ou du gouvernement général de l’Algérie, de nombreux courts métrages de propagande pour mettre en valeur son action économique et sociale. Entre imaginaire exotique et modernité triomphante, dans des départements qui, français d’un point de vue administratif, représentent pourtant un symbole colonial, une filmographie particulière voit donc le jour au moment où les nationalistes algériens réclament davantage de droits pour les populations autochtones. Avant 1954, ce sont des sociétés civiles qui produisent ces films, le plus souvent pour le compte des administrations. L’éclatement des « événements d’Algérie » en novembre 1954 marque l’entrée en lice de l’armée et, d’un point de vue médiatique, du Service cinématographique des armées (SCA), qui va donner aux autorités un outil audiovisuel puissant mais difficile à utiliser dans le cadre de l’action psychologique.


Lorsque le cinéma s’engage au côté de la lutte armée

C’est en 1957, dans la région de Tébessa, qu’un groupe d’Algériens créa la première unité de tournage. Le groupe comprenait 6 membres : Mohamed Guenez, Ali Djenaoui, René Vautier (cinéaste français qui a choisi de se solidariser avec la lutte de libération), Djamel Chanderli et Ahmed Rachedi (qui devaient joindre le groupe quelques temps après) ; désormais le cinéma va s’engager dans le processus de la lutte armée, peut-être pas au même titre que le roman et la poésie, vu l’inexistence des moyens matériels et humains, mais il va contribuer à réunir le maximum de documents sur la lutte de libération.


En 1958, l’intensification de la lutte armée rendait difficile le ravitaillement en pellicule. Alors, de Tebessa, le service cinéma de la wilaya1 fut transféré à Tunis et rattaché au nom de « service du cinéma national » au Ministère de l’Information du G.P.R.A. A la même date, a été monté à partir d’images prises dans le maquis par R. Vautier et A.Djanaoui, L’Algérie en flamme. Film réalisé par René Vautier et une équipe algérienne du F.L.N. Il décrit la vie quotidienne des maquisards, suivie de quelques actions militaires (embuscades, dynamitage d’un train). Le commentaire du film argumente le sens et la portée de la guerre de libération. Ces archives tournées essentiellement aux frontières de l’Algérie et dans les bases de l’A.L.N. ont permis le montage d’une dizaine de films dont les plus représentatifs sont : Sakiet sidi Youcef (1958) de René Vautier, un reportage sur un village tunisien bombardé par l’aviation française.

L’apport cinématographique de René Vautier et Pierre Clément, rangés du côté du F.L.N., fut immense, notamment celui de René Vautier qui a initié et formé beaucoup d’Algériens au 7èmeart. En 1959, Chanderli Djamel, Chaulet Pierre, Lakdar Hamina et René Vautier réalisentDjazaïrouna (Notre Algérie). Film qui sera complété un peu plus tard et s’appellera La Voix du peuple. C’est un essai sur l’histoire de l’Algérie à travers un montage d’actualités. Ce documentaire retrace les actions politiques et militaires de l’A.L.N., des manifestations de décembre 1960, et l’attaque d’une base fortifiée française à la frontière algéro-tunisienne.

Entre 1960 et 1961, Lakhdar Hamina et Djamel Chanderli réalisent Yasmina. Film qui montre l’histoire d’une petite orpheline algérienne qui a perdu ses parents dans un bombardement. A travers cette histoire, c’est l’histoire de tous les réfugiés algériens obligés de quitter le 

pays pour se réfugier dans des camps à la frontière tunisienne qui est relatée. En 1961, la même équipe Chanderli, Lakdar Hamina et Serge Michel, réalisera, pour le compte du GPRA, Les Fusils de la liberté, un moyen métrage sur la base d’un scénario de Serge Michel.


Les films après la guerre



Entre obscurantisme, manipulation politique et oublis, les films de fiction essayent de parler de l'Algérie sans se risquer à se faire reprendre par la censure encore présente. Les longs métrages qui avaient été interdits sortent alors au début des années 1960. Mais la guerre d'Algérie reste quelque chose d’invisible et ces fictions ne parlent que de soldats qui reviennent traumatisés ou qui partent au combat.


Dans Adieu Philippine (Jacques Rozier, 1963), c'est Michel qui part en Algérie pour faire son service militaire après avoir séduit Juliette et Liliane, deux amies inséparables. Les jeunes femmes, qui aimeraient le voir échapper au service militaire, essayent de l'aider à percer dans le cinéma, sans pour autant savoir qui sera l'élue de son cœur. Adieu sous le soleil d'autant plus tragique que Rozier a montré l'égarement dans laquelle le pouvoir maintient la jeunesse au sujet de la guerre d'Algérie. Dans Muriel ou le temps d’un retour(Alain Resnais, 1963) Bernard essaie de trouver auprès de son amie un peu d'apaisement aux souvenirs atroces que lui a laissés la guerre d'Algérie, à la vision d'une jeune femme, Muriel, soumise à la torture qui le hante sans cesse. Dans Les Parapluies de cherbourg (Jacques Demy, 1964), une jeune femme est amoureuse de Guy, un garagiste. Mais celui-ci part pour la guerre d'Algérie. Enceinte et poussée par sa mère, Geneviève épouse Roland, un riche bijoutier.

A l’étranger, l'Italien Gillo Pontecorvo réalise en 1966 La Bataille d’Alger qui retrace l'histoire d’Ali la Pointe lors de la « bataille d’Alger », soit de la lutte pour le contrôle du quartier de la Casbah d’Alger en 1957 entre les militants du FLN et les parachutistes français de la 10e division parachutiste, dirigés dans la réalité par le général Jacques Massu. Censurée en France, l'œuvre reçut « Le Lion d'or » à la Mostra de Venise de 1966, ce qui provoqua la colère de la délégation française.

Comme en France, le cinéma est utilisé en Algérie à des fins politiques. Mohammed Lakhdar-Hamina est l'un des rares cinéastes algériens à avoir pu marquer ses films de son empreinte. L’un de ses films qui aborde le conflit est Le Vent des Aurès(1966) où une mère algérienne part à la recherche de son fils arrêté par la force coloniale. Mais c'est surtout sa Chronique des années de braise qui marque les esprits, en retraçant les 15 ans précédant le début de la guerre d'Algérie et en décrochant « La Palme d'or » au Festival de Cannes de 1975.

Et dès la création de l'Office National pour le Commerce et l'Industrie Cinématographique (ONCIC) en 1968, le cinéma algérien connaîtra durant plus d'une décennie (entre 1970 et 1980) une véritable explosion culturelle et artistique, devenant le digne représentant du cinéma maghrébin et arabe. Une période favorable puisque de 1969 à 1980, plus de 40 films algériens seront réalisés essentiellement sur la révolution algérienne : Patrouille à l’Est (1971), d’Amar Laskri, L’Opium et le bâton (1969), d'Ahmed Rachedi, Les Hors-la-loi (1969), de Tewfik Farès ou encore La Voie(1968), de Mohamed Slim Riad.


À la fin des années 1970, des cinéastes algériens installés en France commencent à réaliser leurs premiers longs-métrages franco-algériens. Au même moment, d'autres cinéastes algériens issus de l'émigration parleront de la guerre d'Algérie à partir de la France. Ainsi on découvrira Touita Okacha, avec les Sacrifiés (1980), où il s’attaquait à la guerre interne que se sont livrés sur le territoire français le FLN et le MNA (Mouvement national algérien, dirigé par Messali Hadj). Dans Les Folles années du twist (1985), Mahmoud Zammouri a choisi de traiter la guerre d'Algérie sur le mode de la comédie et de l'humour.

Entre 1990 et 2007, aucun film algérien ne sera fait sur le thème de la révolution. Les cinéastes réaliseront d’autres films sur l’intégrisme, le terrorisme et la corruption. Il fallait attendre 2008 avec la sortie du film Benboulaïd, réalisé par Ahmed Rachedi, pour que l’Algérie reprenne le thème de la guerre au cinéma. Un nouveau regard sur cette période qui fait aussi l'objet de nombreux documentaires comme Un Rêve algérien de Jean-Pierre Lledo (2003) ou Mémoires du 8 mai 1945 de Mariem Hamidat (2007). 


Plus de 50 ans après, confronter les mémoires sur la guerre d'Algérie par le cinéma de fiction reste encore difficile...

Ferroudja Bessad




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