La toute première manifestation (marche) à Alger, de l’Algérie
indépendante, avait eu lieu le mercredi 26 mars 1980 à 10h à Alger, et
non pas le 7 avril 1980, comme on le cite dans l'ordre chronologique des
faits qui ont marqué le printemps berbère de 1980. Témoignage.
Lors du mouvement de Tafsut Imazighen de 1980, après l'interdiction de
la conférence que devait donner Da L Mulud At Maamar à l'université de
Tizi Ouzou, les étudiants de Boumerdes (INIL et INH en majorité des
Kabyles dans ces instituts) avaient organisé cette marche. Tout s'est
passé dans un secret absolu. Il y avait une vingtaine de personnes qui
avaient planifié cet événement.
J'étais revenu de chez-moi un vendredi
soir (fin de semaine jeudi-vendredi, vous voyez ce n'est pas du tout
catholique) à l’Institut (Boumerdes). Un ami a demandé à me parler en
privé. Il m'a dit qu'on préparait une marche pour le 26 mars et que je
devais aider à cela. Sans réfléchir, j'ai accepté. J'ai pris
l'initiative de rentrer en contact avec les étudiants que je connaissais
dans d’autres écoles. Je suis allé au Centre d’Études et de recherche
en Informatique (ex-CERI) d’Oued Smar et à l’école d’ingénieurs des
travaux publics (Dar El Beida, Alger) où étudiait mon frère.
Le jour J, c'est-à-dire le mercredi 26
mars 1980, dès 6 h du matin, Boumerdes commençait à se vider. Même les
étudiants qui avaient peur avaient fait le déplacement à Alger par
devoir ou par peur de représailles. Par train, par autobus ou par
auto-stop, les gens ont pu gagner Alger sans que les autorités
(gendarmes, police, militaires, etc.) ne s'en aperçoivent.
À Alger, tout le monde faisait mine de
vaquer à ses occupations. À 10h, l’heure fixée pour entamer la marche,
nous étions une poignée de personnes (une vingtaine environ!) au centre
de la place des Martyrs, autour de Salah Ahcène. Nous avions peur. Que
faire ? Puis, d'un seul coup, un cri retentissant "Imazighen, Imazighen"
jaillit de la foule et c'était parti. Les gens (les étudiants de
Boumerdes en majorité), les manifestants quoi ! sortaient de partout :
des cafés, des abribus, des magasins, de sous les arcades, etc. Nous
avions sorti des banderoles, nous avions brisé la peur. La marche s'est
ébranlée sur le boulevard Che-Guevara, direction la Fac centrale, pour
aider les étudiants, bloqués à l'intérieur par les CRS, à sortir.
L'itinéraire s'est improvisé de lui-même, et c’était vraiment quelque
chose d'extraordinaire!
Personne de la houkouma (pouvoir) ne
s'attendait à cet événement. Au moment où on surveillait Tizi Ouzou, le
volcan avait éclaté à Alger. D’ailleurs, les gens du FLN étaient perchés
sur les balcons du siège du parti qui se trouvait sur Che-Guevara pour
voir le tsunami qui venait de déferler sur Alger. Des employés de
banque, des fonctionnaires, des passants, des commerçants n'en croyaient
tout simplement pas leurs yeux. Durant notre marche, d'autres personnes
se sont jointes à nous (certainement des Kabyles!).
Arrivés à la place Port-Said (Ledjnina)
près du TNA, nous avions pris la montée rue Larbi Ben M'hidi où il y a
la statue de l’Émir Abdelkader sur son cheval. C'est à ce niveau-là
(statue) que la police anti-émeute nous attendait. C'est dire à quel
point la marche a été organisée dans un secret absolu. Cela a pris
beaucoup de temps avant que la police ne réalise ce qui se passait et se
mobilise pour venir nous barrer le chemin. Nous avions marché 3 à 4 km!
Quand nous sommes arrivés au niveau du
"mur" dressé par les policiers avec leurs boucliers et leurs matraques,
nous avons continué à crier des slogans hostiles au pouvoir. La police
avait commencé à matraquer sans pitié sur toutes les parties du corps :
tête, dos, jambes, bras. Les gens fuyaient dans toutes les directions.
On avait pris un grand risque, mais on avait osé défier le pouvoir
central. C'était la première grande manifestation anti-pouvoir depuis
1962, à ma connaissance, en plein centre d’Alger. Le lendemain,
évidemment, des actions d'intimidations avaient commencé. On a pris les
noms de tous ceux qui étaient absents aux cours du 26 mars. On avait
cherché à identifier les meneurs, toute absence aux cours était suspecte
par la suite.
Une tentative de deuxième marche a eu
lieu effectivement à Alger le 7 avril 1980. Des étudiants de Tizi-Ouzou,
de Boumerdes et d'Alger ont participé ou tenté de participer à cette
marche, mais cette fois-ci, le pouvoir mafieux était au courant. On a
empêché les gens de Tizi Ouzou et de Boumerdes de se rendre à Alger.
À Boumerdes, les gendarmes armés
(jusqu'aux dents) de mitraillettes surveillaient la gare routière et la
gare ferroviaire dès l'aube. Nous ne pouvions donc pas nous rendre à
Alger. Seuls ceux qui s'étaient déplacés la veille ont pu participer à
cette marche.
Je ne relate pas cet événement comme
héros, mais plutôt comme témoin afin de rendre à César ce qui lui
appartient. Dans la chronologie des événements, c'est le 7 avril qui est
mentionné comme date de la première marche à Alger, alors que la vraie
première marche a eu lieu le mercredi 26 mars. C'est simple, j'ai écrit
cette date dans mon journal (souvenirs) et on peut vérifier que c'était
bien un mercredi. Le véritable architecte de cet événement, et que je
salue dans ce témoignage, s'appelle Salah Ahcène, qu'on appelle
communément Salah de l'INH, car il était étudiant dans cet Institut.
Je ne peux malheureusement pas nommer
tout le monde ici, mais à titre d’exemple et pour la vérification de
l’authenticité de cet événement, il y avait parmi les animateurs de
Boumerdes, Derriche Amar (poète), Ahmed (un cousin de Ferhat Imazighen
Imula), Lembrouk Ahmed (barbu), Ouidja Boussad, Farida (l’étudiante qui
portait souvent un burnous), Mouloud (barbu, originaire d’Azazga),
Khelili Rachid, Akli (homme de forte corpulence portant une barbe),
Arezki (surnommé El belbala), un Algérois qui luttait de tout cœur pour
tamazight, etc. Je cite ces noms pour que ceux qui étaient là durant ces
événements puissent en témoigner. Je présente mes salutations et ma
sympathie à tous les étudiants et à toutes les étudiantes qui ont
participé au printemps berbère 1980.
Je prie les gens qui ont étudié à
Boumerdes à cette époque et qui se souviennent de cet événement
d'apporter une confirmation ou une infirmation à ce sujet. Je demande
aussi au MCB et aux gens qui ont à cœur de laisser des traces véridiques
du mouvement du printemps berbère de 1980, de rétablir la vérité en
incluant cette date dans l’ordre chronologie des événements, car elle
n’est mentionnée nulle part. N’oublions pas cette date importante pour
l’Histoire.
Amazighement,Muhend Sebti, Montréal
Source: le matin dz
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