La justice turque a frappé la garde rapprochée du premier ministre, Recep Tayyip Erdogan.
Hier, 37 personnes ont été interpellées dans le cadre d'un scandale
financier présumé.
Trois fils de ministres - ceux de l'Intérieur, de
l'Économie et du Développement urbain -, le maire d'un arrondissement
d'Istanbul également membre du Parti de la justice et du développement (AKP)
au pouvoir, le directeur de la banque publique Halkbank et un magnat de
l'immobilier sont soupçonnés de corruption et blanchiment d'argent à
l'occasion des marchés conclus par Toki, l'Administration de
développement du logement.
Des permis de construire dans des zones protégées
Placée sous l'autorité du premier ministre, cette agence a la
particularité de disposer de terrains publics gratuitement pour
construire, avec des partenaires privés, de l'habitat à coût modéré,
mais également des complexes immobiliers luxueux. Selon le quotidien Hürriyet,
c'est la délivrance de permis de construire dans des zones protégées
qui serait à l'origine du coup de filet. Le manque de transparence de
Toki est régulièrement épinglé. Le secteur immobilier est en plein boom
en Turquie et les comptes de cet établissement sont exempts de contrôle.
Au pouvoir depuis 2002, l'AKP avait été élu en faisant la promesse de
débarrasser le pays de la corruption, un mal endémique. «AK», les deux
premières lettres du parti, signifient d'ailleurs «blanc», «immaculé».
Mais après trois victoires législatives d'affilée, les engagements
initiaux ne semblent plus qu'un lointain souvenir. Et l'absence d'audit
des comptes publics ajoute à l'opacité de plus en plus grande entourant
le budget. La semaine dernière, les ministères ont été dispensés de
soumettre leurs dépenses au Parlement. Cela avait déjà été le cas en
2012 et le sera pour les trois prochaines années. Pour Cengiz Aktar,
analyste à l'Istanbul Policy Center de l'université Sabanci, l'affaire
de Toki est «sans doute la partie émergée de l'iceberg. Nous sommes dans
un système complètement dérégulé, la loi sur les marchés publics de
2002 a été modifiée des dizaines de fois et le contrôle après exécution
est devenu une exception».
La secte de Fethullah Gülen
Recep Tayyip Erdogan a commenté hier de façon elliptique ces
arrestations lors d'une cérémonie d'inauguration d'infrastructures
publiques, financées par Toki. Dans la ville anatolienne de Konya,
devant dix mille supporteurs, il a condamné des «forces obscures» qui
«menacent la nation». Manifestement, le premier ministre visait la
confrérie religieuse de Fethullah Gülen, un imam exilé aux États-Unis.
Le camp islamo-conservateur est secoué par une lutte intestine entre les
partisans du chef du gouvernement et ceux de ce réseau musulman. Très
nombreux au sein de l'AKP, ses adeptes sont également réputés détenir
des postes clés au sein de la justice.
Le mois dernier, la décision du premier ministre de supprimer les
établissements de soutien scolaire, véritable système éducatif parallèle
en Turquie et source de revenus essentielle pour la confrérie, a exposé
au grand jour la guerre que se livrent les anciens alliés. L'opération
spectaculaire contre Toki intervient à quelques mois des élections
locales, prévues en mars.
Laure Marchand
Source: http://www.lefigaro.fr
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