Curieusement,
les historiens n’ont jamais étudié la tournée de conférences que Louise
Michel donna, fin 1904, en Algérie. Le livre de Clotilde Chauvin,
publié par les éditions Libertaires, répare cet oubli.
« J’appartiens toute entière à la révolution »,
disait Louise Michel, celle qui incarne presque à elle seule la Commune
de Paris. Après l’écrasement de la Commune (20 000 morts chez les
insurgés, 10 000 peines prononcées par des tribunaux spéciaux), Louise
fut condamnée à dix ans de déportation. « Si vous n’êtes pas des lâches, tuez-moi ! » cria-t-elle à la cour à la fin de son procès. Finalement, elle embarquera sur la Virginie, en août 1873, et arrivera, quatre mois plus tard, en Nouvelle-Calédonie.
Au
bagne, Louise rencontra des Canaques et étudia leurs langues. Une
sympathie qui la conduisit à soutenir leur révolte, en 1878.
Viscéralement anticolonialiste (ce qui n’était pas si courant à
l’époque, y compris chez les Communards), Louise l’insoumise lia
également des amitiés solides avec des rebelles kabyles déportés après
leur insurrection de mars 1871.
Dans ses mémoires, elle raconte l’arrivée des « Arabes » à la presqu’île de Ducos, en décembre 1873. « Un
matin, dans les premiers temps de la déportation, nous vîmes arriver
dans leurs grands burnous blancs, des Arabes déportés pour s’être, eux
aussi, soulevés contre l’oppression. Ces orientaux, emprisonnés loin de
leurs tentes et de leurs troupeaux, étaient simples et bons et d’une
grande justice. » Elle apprécia tant la compagnie de ces « Algériens du Pacifique » qu’elle leur promit d’aller un jour leur rendre visite. Louise est de ces personnes qui tiennent leurs promesses.
Une
grave congestion pulmonaire entrava ses projets au printemps 1904,
mais, d’octobre à décembre de la même année, Louise pu parcourir
l’Algérie en compagnie du camarade Ernest Girault. Elle avait
soixante-quatorze ans. La vieille dame alerte, véritable légende
vivante, était attendue. Les journaux algériens avaient annoncé la venue
de la « Vierge rouge ». Les conférenciers propagandistes, anarchistes
en plus, étaient rares en Algérie. L’événement méritait donc d’être
suivi. « Chacun sait que Louise Michel est la meilleure et la plus généreuse des créatures », s’emporta Turco-Revue le 9 avril 1904.
Les
thèmes des conférences n’avaient rien de consensuel. Antimilitarisme,
athéisme, anticolonialisme, anarchisme étaient au centre des causeries
qui se dérouleront à Alger, à Tizi-Ouzou, à Constantine, à Blida, à
Relizane, à Mostaganem, à Mascara, à Médéa. L’éloquence incontestable de
Louise est souvent saluée. Alors que la presse de métropole restait
muette sur la tournée (hormis Le Libertaire), la presse algérienne (La Croix de l’Algérie et de la Tunisie, La Pensée libre, Le Progrès de Sétif, Le Petit Kabyle, L’Echo de Constantine, L’Indépendant de Mostaganem, Le Réveil de Mascara…)
commentait les réunions qui attiraient entre 400 à 600 personnes. Les
enseignants européens et arabes, esprits laïques, antimilitaristes et
progressistes, étaient aux premiers rangs. Louise croisa aussi des
personnages pittoresques, un commandant révolutionnaire qui cria « Vive Zola, vive la révolution ! » à Constantine, un gardien de prison sanctionné pour avoir « fait de la propagande aux prisonniers », un patron d’hôtel maltais libre penseur…
Quelques
incidents émaillèrent tout de même le long périple. A Tizi-Ouzou,
Louise et Ernest eurent droit à une « protection rapprochée ». Un
commissaire « bon enfant » s’était aperçu qu’un juge avait soudoyé des
Apaches pour les assommer. Il avait donc mobilisé des agents de ville
pour assurer leur sécurité ! A Sétif, pendant une conférence, Ernest
sentit qu’on lui piquait le dos. En se tournant, il remarqua de larges
trous de couteau dans la bâche tendue dans la halle à grains. Plus tard,
des individus tentèrent d’incendier la tribune. Des broutilles pour
celle qui avait connu les barricades meurtrières de la Commune et même
une tentative d’assassinat lors du meeting tenu au Havre le 22 janvier 1888.
Néanmoins,
le voyage algérien était éprouvant pour la libertaire épuisée. Sous une
pluie battante, le long trajet en diligence vers Mascara, dernière
ville du programme, fut bien pénible. « Les vitres de la portière
étaient brisées et c’est comme si nous avions été en pleine route. Nous
arrivâmes tout mouillés avec les mains et les pieds gelés », raconte Ernest Girault dans Une Colonie d’enfer, livre oublié qui sert de fil conducteur à l’étude de Clotilde Chauvin.
Fatiguée,
Louise Michel retourna se reposer à Alger pendant qu’Ernest Girault
continuait seul vers la frontière algéro-marocaine. C’est Mathilde de
Fleurville, ex-femme de Paul Verlaine rencontrée jadis à Montmartre, qui
veilla au repos de Louise pendant trois semaines. Dorlotée par son
amie, celle que Victor Hugo appelait Viro Major (plus grande qu’un
homme, en latin) écrira ses mémoires entre deux fruits savoureux. Louise
Michel quittera l’Algérie le 15 décembre 1904. Mathilde écrit dans ses
mémoires : « J’allai sur le bateau embrasser une dernière fois cette
excellente femme. Hélas, je ne devais plus la revoir. Environ trois
semaines après son départ d’Alger, j’eus le chagrin d’apprendre sa mort
par les journaux, qui, pour la première fois, lui rendirent justice. »
Celle
qui défendit l’anarchisme jusqu’à son dernier souffle, celle qui fut la
première à brandir un drapeau noir dans une manif est décédée à
Marseille le 9 janvier 1905. Ses obsèques au cimetière de
Levallois-Perret furent suivies par une foule impressionnante. Ces
derniers moments sont bien connus. Comment expliquer alors le silence
sur les conférences algériennes qui précédèrent ? Le travail de Clotilde
Chauvin ouvre brillamment la voie à des recherches nouvelles. Si
l’auteur a déjà bien remué la poussière (vieux journaux, rapports de
police, publications diverses...), d’autres archives, notamment
algériennes, doivent attendre que des historiens veuillent bien les
ouvrir.
Clotilde Chauvin, Louise Michel en Algérie – La tournée de conférences de Louise Michel et Ernest Girault en Algérie (octobre-décembre 1904), éditions Libertaires, 162 pages. 15 euros.
0 commentaires:
Enregistrer un commentaire