L’axe Alger Paris a du
mal à sortir des relations passionnelles, avec comme point de mire les
questions de mémoire et l’ère coloniale. Ces questions demeurent
déterminantes pour toute normalisation, la France est-elle prête à
ouvrir une nouvelle page tout en tenant compte des attentes de la partie
algérienne ?
Lors de sa visite d’Etat en décembre 2012, le Président de la
République, François Hollande, a voulu que la France et l’Algérie
écrivent ensemble une nouvelle page de leur histoire. Il a reconnu que,
pour se développer, notre amitié devait s’appuyer sur le socle de la
vérité. Et cette vérité, elle a été dite avec force et avec des mots
jamais utilisés. Cette vérité ouvre la voie à la paix des mémoires. Elle
permet aussi de prendre conscience de tout ce qui nous réunit et de
construire l’avenir.
C’est sur cette base que la France souhaite avancer avec l’Algérie,
sans rien oublier des blessures et des injustices et en poursuivant le
travail de mémoire. Je me réjouis d’ailleurs que notre dialogue sur les
archives ait repris, avec plusieurs réunions d’un groupe de travail, à
Alger et à Paris, qui se retrouvera à nouveau en janvier prochain. En
2014, les commémorations du centenaire de la première guerre mondiale et
du soixante-dixième anniversaire de la libération seront aussi
l’occasion d’honorer la mémoire des combattants algériens.
En décembre dernier, la déclaration d’Alger sur l’amitié et la
coopération entre la France et l’Algérie prévoyait la mise en place d’un
comité intergouvernemental de haut niveau, dont la première réunion
était envisagée en 2013. Comme vous pouvez le constater, nos deux pays
sont au rendez-vous. Et, j’en suis personnellement très heureux.
Les relations entre la France et l’Algérie sont exceptionnelles, à
commencer par les liens humains tissés entre nos deux peuples. Il y a
quelque chose d’inapproprié à leur accoler le terme de
« normalisation ». De même, l’amitié a des côtés passionnels et la
passion n’a rien de négatif, au contraire. A nos deux pays d’en tirer
parti.
Quelles sont les aléas et les facteurs bloquants pour le
développement des investissements français en Algérie et une présence
plus accrue, d’autant que certains hommes d’affaire français évoquent
l’instabilité juridique liée à l’acte d’investir, la bureaucratie et la
corruption, et la centralisation de la prise de décision ? Qu’en est- il
de la règle des 51-49% que certaines sociétés françaises ont accepté à
l’instar d’Axa, Renault et Lafarge.
Nos deux gouvernements ont la volonté de donner un nouvel élan aux
relations économiques franco-algériennes. Ils ont décidé de favoriser
une relance équilibrée de nos échanges et d’encourager le développement
des investissements entre leurs entreprises. Un comité mixte de suivi de
cette relation, le COMEFA, a été mis en place. Il s’est réuni le 28
novembre dernier. Avec votre Premier ministre, nous aurons l’occasion
d’intervenir en clôture de la rencontre économique algéro-française, à
laquelle participeront, le 16 décembre, de nombreux chefs d’entreprises
de nos deux pays. Ce sera l’occasion pour nous de rappeler notre
ambition commune pour le volet économique de notre relation.
Notamment dans le cadre de la mission confiée à Jean-Pierre Raffarin,
des progrès ont été réalisés, ces derniers mois, sur plusieurs dossiers
qui concernent des entreprises françaises, comme Lafarge, Saint-Gobain,
Sanofi, CMA-CGM… Il convient de poursuivre dans cette bonne direction
et de résoudre toute difficulté qui pourrait entraver le renforcement de
nos relations économiques.
A Oran, j’aurai l’occasion de me rendre sur le site de plusieurs
projets emblématiques de notre partenariat, tels que la cimenterie de
Lafarge à Oggaz ou l’usine Renault de Oued-Tlelat, actuellement en
construction. Je prendrai aussi le tramway d’Oran, où sont impliquées
plusieurs entreprises françaises comme la RATP et Alstom.
Les autorités algériennes ont conscience que l’environnement des
affaires, en Algérie comme partout ailleurs, est la clé pour le
développement des investissements étrangers et des partenariats
industriels. Des assouplissements en matière fiscale et réglementaire
ont déjà été apportés par plusieurs lois de finances. Ces mesures sont
les bienvenues.
La région du sahel connaît une recrudescence des activités
d’Aqmi. Que peut apporter la France pour aider les pays concernés pour
endiguer ce danger, sans que cela soit perçu comme étant de
l’interventionnisme, surtout après l’opération serval, où la France
pourrait devenir une cible privilégiée ? Comment appréciez- vous le
travail qui est fait dans le cadre de la coordination pour la lutte
anti-terroriste, et qu’en est-il de la coopération sécuritaire entre
Alger et Paris ?
La crise qu’a connue le Mali, ainsi que l’attaque d’In Amenas, ont
malheureusement confirmé les menaces, sur lesquelles la France avait
alerté la communauté internationale de longue date. A l’appel des
autorités maliennes et avec le soutien de l’Union africaine, mon pays a
pris ses responsabilités. Dans cette décision difficile, l’Algérie a été
à ses côtés et je l’en remercie.
Avec la MINUSMA, l’opération Serval a permis d’affaiblir
considérablement les groupes terroristes présents au Sahel, à commencer
par AQMI. La menace n’a pas pour autant disparu et elle justifie la
poursuite de la mobilisation internationale. L’opération de maintien de
la paix des Nations Unies est montée et puissance. Elle continuera à
bénéficier du soutien de la France.
Avec l’Algérie, dont je n’oublie pas le lourd tribut qu’elle a payé
dans sa lutte contre le terrorisme, la concertation est permanente.
L’Algérie est pour la France un partenaire important au Sahel et plus
généralement en Afrique. La participation de votre Premier ministre au
Sommet de l’Elysée sur la paix et la sécurité en Afrique a été très
active et très utile.
Sur aucun théâtre, la France ne cède à je ne sais quelle tentation de
s’ériger en « gendarme de l’Afrique ». Hier au Mali, comme aujourd’hui
en République centrafricaine, elle intervient à la demande des pays et
des organisations régionales concernés, comme dans le cadre d’un mandat
du Conseil de Sécurité des Nations Unies. En cela, elle ne fait
qu’assumer ses responsabilités internationales.
L’Algérie semble se détourner de la France en tant que
partenaire pour l’acquisition du matériel militaire français au profit
des Italiens, des Allemands et des Britanniques en plus des Russes.
Est-ce qu’il y a des conditions pré-requises pour la vente d’armes à
l’Algérie du côté français ?
Compte tenu des enjeux sécuritaires et des menaces qui pèsent sur la
région, notre coopération en matière de défense revêt une grande
importance. La France est d’ailleurs liée à l’Algérie par un accord de
défense, qui a été ratifié par mon pays après l’élection de François
Hollande. Nous devons construire sur cette base.
Notre coopération inclut des exercices communs, des actions de
formation au bénéfice de l’Armée nationale populaire, un dialogue
stratégique. Les questions d’armement sont un volet important de notre
partenariat. La France a pour habitude de proposer des coopérations
industrielles qui répondent au souci des pays qui choisissent de lui
faire confiance de développer la part locale. Nos entreprises sont à la
disposition des autorités algériennes pour répondre au plus près aux
besoins de votre pays.
Que recouvre le concept de partenariat d’exception que veulent construire l’Algérie et la France ? Quels sont ses fondements ?
La France et l’Algérie sont unies par des liens d’une variété et
d’une densité extraordinaires. C’est la réalité. Une multitude
d’aventures individuelles ou collectives font vivre au quotidien notre
relation et en constituent le ciment. La volonté de nos deux
gouvernements est de favoriser leur épanouissement.
La visite d’Etat du Président de la République a ouvert une nouvelle
page, en créant un climat qui permet de construire entre la France et
l’Algérie un partenariat stratégique d’égal à égal, au service de nos
deux peuples et, en particulier, de nos jeunesses. Et ce que nos jeunes
attendent, c’est que nous trouvions ensemble les réponses aux défis
auxquelles nos sociétés sont confrontées. Je pense naturellement aux
ravages du chômage.
D’ores et déjà, notre dialogue politique est au beau fixe et je me
réjouis de présider, demain, avec mon homologue algérien, la première
réunion du Comité intergouvernemental de haut niveau. Il n’y a pas un
domaine où des progrès n’aient pas été enregistrés depuis un an, qu’il
s’agisse de la dimension économique de notre partenariat, de sa
dimension humaine, de notre coopération culturelle, éducative,
universitaire ou scientifique. A nos deux pays d’entretenir cette
dynamique.
La « décrispation » des relations bilatérales est-elle
appelée à s’inscrire dans la durée ? Reste-t-il entre les deux parties
des sujets tabous, qui soient polémiques ou qui fâchent ?
La déclaration d’Alger sur l’amitié et la coopération entre la France
et l’Algérie, signée l’an dernier, nous engage pour l’avenir. Devant
les deux chambres réunies du Parlement algérien, le Président de la
République avait évoqué, l’an dernier, tout ce que nous pouvions faire
ensemble, pour les cinquante prochaines années ! Il avait aussi rappelé
les trois exigences au cœur de notre partenariat : la reconnaissance du
passé, dans le respect de toutes les mémoires ; la solidarité entre nos
deux nations ; l’espérance pour les jeunesses d’Algérie et de France.
Sur un socle aussi solide, il ne saurait y avoir de sujets tabous entre
deux pays liés par une amitié qui permet la franchise et s’inscrit dans
le respect mutuel.
Une des dimensions de la relation algéro-française, et non
des moindres, est humaine. Quelles mesures pour amplifier, fluidifier et
faciliter la circulation des personnes entre les deux pays ? Votre
gouvernement abandonne-t-il le projet de révision de l’accord bilatéral
de 1968 régissant la circulation et le droit de séjour des Algériens en
France, voulue par la précédente majorité de droite ?
La dimension humaine est l’un des piliers de notre relation
bilatérale. Elle fait partie de la déclaration d’Alger et répond à
l’intensité des liens entre les personnes qui sont la richesse de notre
partenariat.
Il y a un an, le Président de la République avait constaté que
l’accord de 1968 était, en réalité, un bon accord, dont il suffisait
d’améliorer la mise en œuvre. C’est exactement ce que nous avons fait,
depuis lors, en facilitant la circulation des personnes entre les deux
pays. En 2013, la France devrait délivrer quelques 250.000 visas en
Algérie, soit une augmentation de près de 20% par rapport à 2012. Le
taux d’acceptation a lui aussi augmenté, pour atteindre 75%, et près de
la moitié des visas délivrés sont des visas à entrées et sorties
multiples et de longue durée. Les conditions d’accueil des demandeurs
ont été améliorées, avec le recours à Alger à un prestataire de service.
La liste des documents demandés a été simplifiée pour certaines
professions qui contribuent activement à notre relation bilatérale.
Toutes ces évolutions sont très concrètes et témoignent de notre volonté
de traduire nos paroles en actes.
La mobilité des personnes n’est pas une question à sens unique.
L’entrée, la circulation et le séjour des Français en Algérie devraient
également être améliorés. Les relations franco-algériennes en
bénéficieraient.
Paris souhaite voir des entreprises algériennes publiques et
privées venir investir en France. Quel est l’intérêt pour les
entreprises algériennes ? Cette attente n’est-elle pas contradictoire
avec les demandes insistantes d’Alger concernant les investissements
français ?
Tout partenariat économique durable doit reposer sur l’équilibre.
La France s’est engagée à promouvoir des projets de partenariat
industriel et productif qui correspondent à la priorité qu’attachent les
autorités algériennes à l’industrialisation et la diversification de
l’économie de votre pays. Cette volonté se traduit dans les faits, par
des investissements qui font de la France le premier investisseur en
Algérie, hors hydrocarbures. 450 entreprises et entrepreneurs français y
sont implantés et génèrent 40.000 emplois directs et 100.000 emplois
indirects.
Il n’y a aucune contradiction à ce que les opérateurs économiques
algériens investissent en France. Les investissements croisés sont, au
contraire, une manière de créer des solidarités concrètes qui
contribuent à renforcer les relations entre les Etats et entre les
peuples. Des acteurs économiques algériens manifestent un intérêt pour
investir en France. Le message que je leur adresse est qu’ils sont les
bienvenus. Le développement d’investissements algériens en France
représenterait un signal politique fort.
L’un des volets de ce séminaire intergouvernemental sera la
circulation et la formation des étudiants algériens. Concrètement, quel
objectif se fixe la France ? Quelles mesures pourraient être annoncées
le 16 décembre ?
La période pendant laquelle la France voyait les étudiants étrangers
comme une sorte de menace est révolue. Au contraire, nous sommes
convaincus que la mobilité des étudiants est une chance pour les pays
d’accueil, comme pour les pays d’origine.
Entre la France et l’Algérie, la coopération universitaire est
particulièrement dynamique. Avec 22.000 étudiants, les Algériens forment
la troisième communauté estudiantine étrangère dans mon pays. Chaque
année, ce sont plus de 3.500 visas pour études qui sont délivrés à vos
compatriotes. Mais, au-delà des chiffres, la qualité et la réussite des
parcours d’études sont essentielles.
C’est pourquoi le renforcement du capital humain fait partie des axes
prioritaires du document-cadre de partenariat, signé à l’occasion de la
visite du Président de la République et qui régit notre coopération
jusqu’en 2017.
Nos deux pays sont confrontés au défi de l’emploi des jeunes. Notre
objectif est donc de renforcer les filières professionnalisantes et
l’employabilité des jeunes diplômés. C’est le rôle des instituts
d’enseignement supérieur et technologique à Bouira, Ouargla, Tiaret et
Oum el Bouaghi, dont je me réjouis de l’ouverture pédagogique en
septembre dernier. Ce projet, inspiré des IUT français, est un bel
exemple de ce dont nous sommes capables de faire ensemble au service de
nos jeunesses.
Ma visite sera l’occasion de concrétiser plusieurs partenariats
nouveaux en vue notamment de créer une Ecole des Métiers de l’Industrie
ou une Ecole nationale d’Economie industrielle, impliquant des
établissements algériens et français, comme l’Ecole des Mines ou l’Ecole
d’Economie de Toulouse. Elle permettra aussi de franchir une étape
supplémentaire dans le domaine de la formation professionnelle, avec
l’annonce d’un partenariat entre les ministères français et algériens
compétents et l’entreprise Schneider Electric pour mettre en place un
institut de formation dans les métiers de l’électricité.
Au cours de ma visite, j’aurai l’occasion d’évoquer tous ces projets
avec les étudiants de l’Ecole nationale polytechnique d’Oran.
Lors de son intervention au sommet France-Afrique, François
Hollande s’est fixé comme cap le doublement du volume des échanges entre
la France et le continent d’ici cinq ans. Quelle place doit prendre
l’Algérie dans ce partenariat renouvelé ? Autrement dit, l’Algérie
est-elle amenée à prendre davantage sa place en tant que puissance
régionale alors que la Chine vient de passer devant la France comme
premier partenaire de l’Algérie.
Le Sommet de l’Elysée pour la paix et la sécurité en Afrique a
surtout été l’occasion d’adresser un message de confiance à l’égard de
ce continent. Il a invité tous les acteurs économiques à porter un
nouveau regard sur les opportunités qui existent et qui ne feront que se
renforcer à l’avenir.
La relation économique franco-algérienne doit tirer le plein bénéfice de cette dynamique. C’est le vœu de la France.
La première réunion du comité mixte économique franco-algérien a été
l’occasion pour les deux parties, d’exprimer leur souhait de rester des
partenaires économiques de premier rang. La France a confirmé sa volonté
de demeurer le premier partenaire économique de l’Algérie. Au-delà de
performances en partie liées à des facteurs conjoncturels, il nous
appartient de travailler ensemble à la concrétisation de cette ambition.
Entretien accordé à El Watan, El Khabar, TSA
0 commentaires:
Enregistrer un commentaire