Quelques jours après le sommet
France-Afrique de Paris, Jean-Marc Ayrault arrive demain à Alger, en
compagnie de dizaines de chefs d’entreprises de son pays. Saïd Sadi
décortique dans cette contribution exclusive les dessous et les enjeux
de ces deux événements, à la lumière de la situation politique interne
de l’Algérie.
Malgré les précautions prises pour alerter le Conseil de sécurité qui a fini par donner son accord, en dépit de la présence de Ban Ki-moon et de Baroso lors du sommet de Paris, quelle qu’ait été l’insistance des roucoulements de la camarilla politico-médiatique algéroise, prolongement mondain du Parti socialiste français, la mise en scène ne convainc pas. Le fait d’avoir fait endosser la présidence symbolique de ce conclave à un Mandela dont la vie se confond avec le combat pour l’émancipation du continent n’a fait qu’ajouter au malaise suscité par une démarche dont la dimension manœuvrière a heurté plus d’un.
Un sommet France-Afrique au 21e siècle est d’abord une incongruité. Il ne sera jamais l’équivalent d’un sommet Europe-Afrique et, quoi que l’on en dise, l’événement est et sera entendu pour ce qu’il est : un reliquat de l’ère coloniale où une nation convoque 50 autres avec comme finalité la protection non pas des populations mais de positions acquises sur l’uranium ici, les métaux précieux là-bas, le bois ou le pétrole ailleurs.
Un reliquat de l’ère coloniale
Le libellé d’une réunion France-Afrique donne la pleine mesure de sa signification géopolitique et les pays européens ne sont pas tombés dans le piège qui aliène certains Algériens qui voient dans les initiatives françaises conduites en Afrique une ingérence quand elles sont menées par la droite et une assistance dès lors qu’elles sont pilotées par la gauche. Le fait est que la France qui vient d’y perdre ses deux premiers soldats reste seule en Centrafrique. Ce que les Africains ne veulent pas comprendre, les Européens le leur traduisent dans l’action politique.
Le Premier ministre français, Jean-Marc Ayrault, arrive demain à Alger avec des dizaines de chefs d’entreprise. Considérons que c’est un pur hasard de calendrier qui fait que ces négociations sont régulièrement concomitantes de grandes échéances politiques. Comme pour tant d’autres auparavant, celles-ci interviennent à un mois de la convocation du corps électoral pour une présidentielle ubuesque sur laquelle les silences extérieurs, perçus comme autant de complicités, sont toujours appréciés et attendus à Alger.
Malgré les précautions prises pour alerter le Conseil de sécurité qui a fini par donner son accord, en dépit de la présence de Ban Ki-moon et de Baroso lors du sommet de Paris, quelle qu’ait été l’insistance des roucoulements de la camarilla politico-médiatique algéroise, prolongement mondain du Parti socialiste français, la mise en scène ne convainc pas. Le fait d’avoir fait endosser la présidence symbolique de ce conclave à un Mandela dont la vie se confond avec le combat pour l’émancipation du continent n’a fait qu’ajouter au malaise suscité par une démarche dont la dimension manœuvrière a heurté plus d’un.
Un sommet France-Afrique au 21e siècle est d’abord une incongruité. Il ne sera jamais l’équivalent d’un sommet Europe-Afrique et, quoi que l’on en dise, l’événement est et sera entendu pour ce qu’il est : un reliquat de l’ère coloniale où une nation convoque 50 autres avec comme finalité la protection non pas des populations mais de positions acquises sur l’uranium ici, les métaux précieux là-bas, le bois ou le pétrole ailleurs.
Un reliquat de l’ère coloniale
Le libellé d’une réunion France-Afrique donne la pleine mesure de sa signification géopolitique et les pays européens ne sont pas tombés dans le piège qui aliène certains Algériens qui voient dans les initiatives françaises conduites en Afrique une ingérence quand elles sont menées par la droite et une assistance dès lors qu’elles sont pilotées par la gauche. Le fait est que la France qui vient d’y perdre ses deux premiers soldats reste seule en Centrafrique. Ce que les Africains ne veulent pas comprendre, les Européens le leur traduisent dans l’action politique.
Le Premier ministre français, Jean-Marc Ayrault, arrive demain à Alger avec des dizaines de chefs d’entreprise. Considérons que c’est un pur hasard de calendrier qui fait que ces négociations sont régulièrement concomitantes de grandes échéances politiques. Comme pour tant d’autres auparavant, celles-ci interviennent à un mois de la convocation du corps électoral pour une présidentielle ubuesque sur laquelle les silences extérieurs, perçus comme autant de complicités, sont toujours appréciés et attendus à Alger.
Concrètement, le Premier ministre français va s’employer à conforter la place, désormais menacée par la Chine, de premier partenaire commercial avec l’Algérie. C’est de bonne guerre. L’Algérie est dans un état de délabrement qui appelle et stimule bien des appétits ; la France affronte une crise qui l’oblige à capter toutes les opportunités sans trop s’embarrasser de subtilités. Malheureusement, la nature et le résultat des échanges dans un tel environnement sont connus d’avance. Mais que l’on n’essaie pas de donner à cette visite un caractère d’exception qu’elle n’a pas et qu’elle ne peut pas avoir ; d’ailleurs, pour une bonne part, à cause de l’incurie et de l’irresponsabilité du pouvoir algérien. Cependant, si nous sommes les premiers acteurs de notre déchéance, il n’est pas utile que ceux-là même qui se réclament d’un partenariat privilégié poussent à la roue. Le suicide collectif, on sait faire tout seul.
En décembre 2012, François Hollande, dans un numéro de funambulisme politique dont il a le secret, avait “oublié” l’état d’urgence de fait qui interdit les manifestations, les répressions d’une police omnipotente et pléthorique qui s’abattent sur les citoyens et les violations quotidiennes des droits constitutionnels face à une justice domestiquée comme jamais ; le tout étant la clé de voûte de la politique de Bouteflika.
Pour l’essentiel, la presse algérienne francophone avait vu dans une visite de complaisance digne de celles que rendaient les Giscard ou les Mitterrand aux autocrates de l’Afrique subsaharienne une innovation où le FLN — réhabilité à partir de Paris qui l’a introduit à l’Internationale socialiste — était repositionné comme interlocuteur exclusif en Algérie. Dans leur majorité, les médias arabophones, ruminant une francophobie primaire, discréditaient toute critique crédible des discours abscons du président français qui, en fait, étaient une récidive. Venu à Alger deux ans auparavant, alors qu’il n’était même pas encore candidat, “pour refonder les relations algéro-françaises”, Hollande avait limité ses entretiens à... Ben Bella et Belkhadem. La politique algérienne hollandienne était tracée de longue date. Elle sera suivie et exécutée. Cyniquement. Pourtant, Jean-Marc Ayrault aurait tort de s’aligner sur le slalom de son président. Oui, les Algériens connaissent la plus grande humiliation de leur histoire de jeune pays indépendant. Oui, il est quasiment impossible d’avoir un vis-à-vis officiel visible, fiable, crédible et intègre. Peut-on, doit-on, pour autant, s’autoriser à investir le marasme comme matrice de coopération au point de l’entretenir, l’amplifier et le pérenniser ?
Mandela et son image inversée
Il faut bien mal connaître l’Algérie pour croire que la France peut s’incliner devant la mémoire de Mandela à Prétoria et saluer son image inversée à Alger dans la même semaine sans que cela n’alimente ce que Camus appelait “la honte d’avoir honte”. La honte d’avoir laissé un hold-up se commettre sur sa propre nation et la honte de voir cette faiblesse récupérée par un tiers qui vous l’oppose comme son droit à vous asservir.
Les travers népotiques de Bouteflika ne sont en rien moins dommageables que ceux d’un Bongo ou d’un Mugabé. Ils sont même plus dévastateurs en ce sens que la rente algérienne, plus conséquente, est plus funeste.
Jean-Marc Ayrault sait qu’il rencontrera le gouvernement le plus corrompu que l’Algérie ait eu à endurer depuis 1962, ce qui, au regard des pedigrees des exécutifs précédents, n’est pas peu dire. Les Algériens peuvent comprendre qu’une puissance veuille tirer le meilleur profit d’un pouvoir décadent ; il serait, néanmoins, souhaitable pour l’avenir des relations algéro-françaises, qui restent à inventer, que son message ne renforce pas l’arrière-goût laissé par celui de François Hollande qui avait été jusqu’à suggérer de réhabiliter Messali. Cela laisse forcément des traces. Il ne s’agit pas, il ne s’agit plus, ici, d’emporter un marché en abusant d’une situation où l’une des parties s’est mise en difficulté ; en l’occurrence, on veut exercer une hypothèque mémorielle sur un peuple et, dès lors, ce n’est plus un puissant partenaire mais l’ancien tuteur qui s’impose encore à votre destin. À cette pénible occasion, la France-Afrique s’était manifestée dans sa dimension la plus méprisable et la plus dangereuse. Imagine-t-on un dirigeant algérien en visite officielle à Paris expliquant au peuple de France qu’à tout prendre, Pétain mériterait de surclasser de Gaule ?
Le coup de tonnerre dans le ciel d’Alger arrive
Pour des raisons qui tiennent autant à leur déclassement, à la répression puis à leur clientélisation, les élites algériennes sont encore sous l’envoûtement d’un parti socialiste français qui, hier comme aujourd’hui, n’a pas su être au rendez-vous de l’égalité et de l’équité avec l’espérance algérienne.
C’est un tort de croire que le dévoiement d’une aristocratie prébendière qui a rarement initié une action libératrice et, pour tout dire, jamais pesé dans les moments décisifs de notre histoire, peut asseoir une relation durable et féconde entre nos deux pays. Les actes ou les propos d’anciens maquisards à première vue résignés, de modestes fonctionnaires, de syndicalistes marginalisés ou d’hommes de culture censurés, autant d’irrédentistes de l’honneur, rescapés d’une décomposition morale et politique qui accable et humilie le pays, résonnent dans les esprits et impriment la mémoire de la jeunesse algérienne bien plus que le journal de l’une des dernières télévisions brejnéviennes. Dans un pays qui connaît toujours la faim et le dénuement, la sauvegarde de la mémoire d’Amirouche, un héros stigmatisé autant par l’armada médiatique coloniale pendant la guerre que les forfaitures des despotes algériens une fois l’indépendance acquise, les chants de nos mères ont été les ferments de la reconstruction d’une histoire nationale prise en otage sur les deux côtés de la Méditerranée.
Ce n’est pas parce que l’Histoire ne se répète jamais qu’il faut répéter les erreurs du passé. Le coup de tonnerre dans le ciel d’Alger arrive. Rien ne dit qu’il sera moins violent que celui qui l’avait précédé en 1954.
Alors ripaillez autant que le permet notre déchéance, M. Ayrault, nous nous en prendrons d’abord à nous-mêmes ; mais ne souillez pas trop la table. Support d’agapes, une table propre peut toujours servir à réunir les énergies et les intelligences pour appréhender l’avenir.
Saïd sadi
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