C’est
dans cette ville de 110.000 habitants que Mohamed Bouazizi, dont l’
activité de vendeur ambulant de fruits et légumes constitue le seul
revenu de sa famille, ne possédant pas d' autorisation officielle, se
fait confisquer sa marchandise à plusieurs reprises par les employés
municipaux. N’ayant pas terminé ses études en 4ème année secondaire
( niveau Bac ) au chômage depuis plusieurs années, il dénonçait aussi
la précarité de la jeunesse tunisienne. D’après les données officielles,
près de 14 % des jeunes diplômés sont touchés par le chômage. On
apprendra après la révolution et de la bouche même du responsable des
statistiques que ce chômage touche près de 45% des jeunes diplômés de
moins de 29 ans.
Depuis plusieurs années Sidi-Bouzid est en
souffrance de la République, son ex-gouverneur, muté en 2010, avait
perdu tout crédit près de ses administrés au cours des cinq années
de son mandat, on lui reproche notamment d’avoir laissé se mettre en
place un système de corruption à tous les niveaux de la vie publique,
créant ainsi un climat de rumeurs, jamais démenties, favorisant du
même coup tous les débordements des habitants. Essayant de plaider
sa cause et d'obtenir une autorisation et la restitution de son stock
auprès de la municipalité et du gouvernorat, il se heurte à une
fonctionnaire, l’agent Fadia Hamdi. Dans son uniforme, ce n’est pas à
cette femme que Bouazizi adresse des propos violents, c’est à la société
tunisienne toute entière, mise en place par Ben Ali et entretenue par
sa toute puissante administration. —Mohamed Pousse-Pousse1 —
contrairement aux autres marchands de marchés n’était pas en mesure
de s’acquitter du bakchich près des policiers municipaux, ne pouvant de
ce fait vendre sur le marché institutionnel, il était contraint, avec
d’autres vendeurs dans le même cas que lui, de s’installer où il
pouvait, c’est ainsi qu’il plaçait sa charrette à proximité du
gouvernorat, près de la station de taxi. L’expression de la misère à cet
endroit était très mal vue des autorités, Quel outrage à son excellence
le gouverneur d’avoir sous ses fenêtres un tel étalage de la misère
de Tunisie, lui qui était placé à ce poste pour glorifier
quotidiennement Zaba !
Au comble de sa souffrance, dans un geste
prémédité, le 17 décembre 2010, à l'âge de 26 ans, il s'asperge
d'essence et s'immole par le feu devant le siège du pouvoir local. La
foule essaie de le secourir, l’extincteur du gouvernorat est
malheureusement hors d’usage, enfin on l’enveloppe de
couverture.Transporté dans un premier temps au centre hospitalier de
Sidi Bouzid, il est ensuite transféré à Sfax et enfin au centre des
grands brûlés de BenArous. Il décède le 4 janvier 2011. Son geste,
a été le point de départ d’une série de manifestations de jeunes dans
le même cas, amis et collègues de marché de Bouazizi.Le jour même, à
partir de 14h, des groupes se sont formés spontanément devant le
gouvernorat, le gouverneur s’étant eclipsé, les manifestants venus
des cités et des quartiers les plus proches ont lancé des légumes
et des fruits du chariot de Bouazizi contre la porte du
gouvernorat, et par la suite, ont lancé des cailloux. À ce moment là, le maintien de l’ordre était réalisé par trois policiers.
C’est ensuite que les BOP1 de Kasserine de Kairouan et de Sfax
sont venus en renfort et ont utilisé les premières bombes
lacrymogènes faisant également usage de leurs matraques.
C’est
alors que la jeunesse de Sidi Bouzid a mis en place un stratagème
consistant à faire croire aux forces de polices qu’ils sont à
leur côté le jour, mais ils reprennent leurs émeutes la nuit, en
créant des groupes mobiles de harcèlement qui se déplacent grâce aux
réseaux sociaux et aux sms ; situation qui durera jusqu’au départ de
Ben Ali. Après plusieurs jours de tensions, un autre jeune chômeur
de Sidi Bouzid, Hassan Ben Salah Neji, dit Houcine Neji, un homme de 24
ans, a escaladé un pylône électrique, avant de s’électrocuter en
touchant les câbles. De nombreux témoignages confirment qu’ Houcine
implorait, du haut du pylône, le délégué, le suppliant de lui trouver un
travail même en dessous du smic, même un sogegat2 ! À la foule qui
l’incitait à descendre, il répondait : « Vous ne savez pas à quoi
ressemble ma vie,venez voir notre maison, nous ne sommes pas parmi les
vivants »
EXTRAIT des pages 58 à 62 du livre DEGAGE DEGAGE DEGAGE ils ont dit DEGAGE - Sefraber éditeur.
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